Comme la TVA inventée en 1954 par Maurice Lauré (1917-2001), le concept d’impôt négatif a été imaginé par un Français, Augustin Cournot, qui a mis en évidence la continuité souhaitable entre les prestations sociales (par exemple la Prime d’activité actuelle) et la formule de calcul de l’impôt sur le revenu.
Antoine Augustin Cournot (1801-1877), mathématicien et philosophe français.
En 1838, il invente l’expression « impôt négatif » dans une phrase de ses Principes mathématiques de la théorie des richesses : « La prime, invention des temps modernes, est l’opposé de l’impôt : c’est, pour parler le langage algébrique, un impôt négatif ; en sorte que les mêmes formules d’analyse doivent s’appliquer à l’impôt et à la prime ».
Oubliée pendant plus d’un siècle, cette formulation est réapparue en Angleterre pendant la seconde guerre mondiale, lors de la définition de ce qui allait devenir le modèle beveridgien de sécurité sociale. Juliet Rhys-Williams a présenté alors la vision d’un dispositif socio-fiscal intégré, plutôt qu’une combinaison de prestations minimales et conditionnelles financées par l’impôt sur le revenu.
Juliet Rhys-Williams (1898-1964), membre du Parti Libéral anglais, participa en 1942 aux travaux du Comité Beveridge qui publia le rapport fondateur du modèle anglo-saxon de sécurité sociale, alternatif au modèle bismarckien d’Europe continentale. La 3e voie qu’elle proposait, sous la dénomination negative income tax, ne fut pas retenue par William Beveridge qui était resté attaché à l’idée d’aides sociales conditionnelles financées par l’impôt général.
Sa proposition a été largement reprise et diffusée aux Etats-Unis, par de nombreux économistes de l’après-guerre. L’un d’eux, Milton Friedman, a tenu un rôle particulier, parvenant grâce à son talent de pédagogue à faire connaître cette proposition au grand public, via des interviews télévisées largement suivies.
Milton Friedman (1912-2006), prix Nobel d’économie et remarquable pédagogue, a publié Capitalisme et Liberté en 1962, faisant découvrir au grand public américain les vertus de l’impôt négatif. « Le nouveau système s’adapterait directement à notre système actuel d’impôt sur le revenu (…) et remplacerait le fouillis des mesures actuelles (…) le poids administratif actuel en serait certainement réduit ».
Ce n’est qu’en 1974 que le concept d’impôt négatif est réapparu en France, sous la plume de Lionel Stoléru, inspiré par un voyage d’études aux Etats-Unis. Le point de convergence fondamental de toutes ses approches est de concentrer dans le même outil fiscal les contributions acquittées par ceux qui perçoivent des revenus significatifs et ceux qui bénéficient de transferts monétaires en raison de leurs faibles revenus.
Dans sa « Lettre à tous les français » d’avril 1988, François Mitterrand évoquait le livre de Lionel Stoléru avant de faire cette promesse : « Je demanderai donc au prochain gouvernement qu’un revenu minimum soit attribué aux victimes de la nouvelle pauvreté. Peu importe le nom qui lui sera donné, revenu minimum d’insertion ou revenu minimum garanti ». Le RMI mis en place les mois suivants par le gouvernement de Michel Rocard a malheureusement été conçu comme une prestation sociale et non comme un impôt négatif.
Lionel Stoléru (1937-2016), conseiller économique du président Giscard d’Estaing en 1974, a publié Vaincre la pauvreté dans les pays riches, où il expliquait comment mettre en œuvre en France le concept d’impôt négatif discuté aux Etats-Unis.
« En distribuant des aides par catégories de personnes et par catégories d’événement, le système social actuel achève de figer la société en rendant dramatique tout changement de catégorie ».
Alors que l’option de l’impôt négatif a été envisagée lors de la mise en place du Revenu minimum d’insertion (RMI), en 1988, la réflexion a continué à s’approfondir dans les cercles universitaires, en particulier sous l’impulsion de François Bourguignon. Ses travaux des années 1997-1998 sur le thème « fiscalité et redistribution » ont abouti à la première modélisation chiffrée d’une forme d’impôt négatif pour la France, inspirant la création en 2001 de la Prime pour l’emploi par le gouvernement de Lionel Jospin.
Cette première tentative d’instaurer un impôt négatif en France était malheureusement très modeste, ne concernant qu’une petite fraction de la population, qui ne pouvait pas comprendre la logique du versement par le fisc d’un petite aide annuelle, calculée en fonction des revenus de l’année précédente.
François Bourguignon (né en 1945), économiste en chef et premier vice-président de la Banque Mondiale de 2003 à 2007, directeur de l’Ecole d’économie de Paris jusqu’en 2013, a particulièrement étudié la redistribution des revenus dans les pays développés et les pays en voie de développement. Ses modélisations de l’impôt négatif pour la France ont démontré que « l’ensemble du système est progressif et la courbe de taux marginal correspondante est parfaitement horizontale ».
En 2007, Nicolas Sarkozy demandait à Martin Hirsch de mettre en place un Revenu de solidarité active (RSA) censé éliminer les inconvénients constatés du RMI, et en 2015, François Hollande fusionnait le RSA activité avec la Prime pour l’emploi pour former la Prime d’activité. Cette prestation sociale régulièrement modifiée depuis n’a rien de commun avec la simple efficacité d’un impôt négatif.
Ainsi que le mentionnait Cournot, la même formule de calcul doit s’appliquer aussi bien à ceux qui paient l’impôt qu’à ceux qui bénéficient d’aides sociales, évitant ainsi de mettre en place des prélèvements réservés aux riches et des primes réservées aux pauvres. Nul besoin alors de définir et gérer une profusion de règles pour distinguer les ménages selon une multitude de critères plus ou moins légitimes et intrusifs.
Contemporain de Cournot, Alexis de Tocqueville (1805-1859) avait ramené d’un long voyage d’études aux Etats-Unis une compréhension aiguë des bienfaits de la démocratie, mais aussi de ses risques : « le souverain couvre la société d’un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes (…) il réduit chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger ».
L’Impôt Négatif Français formulé par le think tank AIRE en 2023 est conçu à l’opposé de cette dérive fatale pour la démocratie : il redonne aux citoyens la maitrise de leurs vies.
Félicitations pour ce travail à la fois héroïque, herculéen et original. Ça surprend toujours, bien que ce soit l’évidence même, qu’on doit vendre aux gens ce qu’ils veulent acheter plutôt que d’essayer de les convaincre d’acheter ce que l’on vend. Suis-je cynique de le penser ? La substantifique moelle de l’AIRE n’a pas changé, ce sont l’emballage et le marketing qui se sont transformés. Les 35 ans de l’AIRE ont porté fruit de façon spectacul-AIRE !