Anne de Guigné : En France, on peut « travailler plus pour gagner moins » !

CHRONIQUE – Le maquis des aides sociales recèle encore de nombreuses incohérences. Certains Français n’ont aucun intérêt à travailler davantage, d’autres à officialiser leur vie de couple.
Par Anne de Guigné

Neuf dispositifs de minima sociaux, quatorze types d’aides fléchées vers les parents… Le vent de simplification, promis par Emmanuel Macron, n’a pas encore soufflé sur le maquis des aides sociales françaises. De réforme en réforme, les régimes sociaux et fiscaux sont même devenus si touffus que les pouvoirs politiques ne semblent plus savoir par quel levier les piloter. D’étonnantes aberrations s’y cachent aussi. De nombreux Français n’ont ainsi aucun intérêt à travailler davantage sous peine de subir une perte de revenus. C’est le cas, par exemple, des personnes handicapées, qui perçoivent une allocation adulte handicapée (AAH) et une aide au logement (APL).

« Une personne handicapée payée à mi-temps au smic perd de l’argent si elle travaille quelques heures en plus ou si son employeur a la naïveté de l’augmenter », avance le think-tank libéral AIRE, dans son dernier rapport dédié à l’impôt négatif. Dans le détail, autour d’un demi-smic, lorsque l’employeur augmente son salarié de 100 euros, le salaire net progresse de 75 euros, l’AAH diminue de 42 euros, l’aide au logement de 26 euros, et la prime d’activité de 13. Conséquence : malgré l’effort substantiel de l’entreprise, le revenu de l’employé baisse de 6 euros.

Incompréhensible politique familiale

Le patchwork des dispositifs d’aide aux parents qui élèvent des enfants (allocations familiales, complément familial, allocation de soutien familial, bonification du RSA, quotient familial…) impressionne aussi par sa complexité. En résumé, le soutien public aux parents évolue, de manière relativement aléatoire, au sein d’une fourchette allant de zéro à 600 euros d’aide par mois par enfant. Les foyers plus aisés pouvant se trouver davantage soutenus que les plus modestes.

Ainsi dans le cas d’un couple marié ou pacsé en charge de trois enfants mineurs, un foyer gagnant en moyenne 8 smic recevra 237 euros par enfant, essentiellement via une réduction d’impôt sur le revenu, tandis qu’un foyer aux revenus avoisinant 2,5 smic, percevra 170 euros, sous forme d’allocations. Plus surprenant encore, un couple avec un enfant perçoit des aides de l’État jusqu’à deux smic de revenu. Pile à deux smic, il ne touche plus rien. Au-delà, il est à nouveau subventionné par le mécanisme du quotient familial. Difficile de percevoir les tenants et aboutissants d’une telle politique familiale !

Des dangers de se mettre en couple

De telles incohérences frappent également les personnes qui officialisent, aux yeux de l’administration par une déclaration de concubinage, un pacs ou un mariage, leur couple. Le pire des cas recensés dans le rapport AIRE concerne un retraité modeste, qui se mettrait en couple avec un autre retraité bénéficiaire de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa), ex-minimum-vieillesse. Dans ce cas, leurs revenus communs seraient amputés de près de 900 euros. Autant dire que les personnes concernées ne convoleront jamais, même si elles le souhaitaient. Un couple composé d’une personne au RSA et d’une autre rémunérée deux smic subira de son côté, en cas d’officialisation du lien, une perte d’un peu plus de 300 euros de revenus.

AIRE ne se contente pas d’égrener les multiples situations baroques provoquées par l’exubérance de notre système socio-fiscal. Le think-tank propose une ambitieuse remise à plat des dizaines de dispositifs, en s’inspirant des travaux de l’économiste américain Milton Friedman. (…) Les économistes libéraux de l’association ont choisi le terme « impôt négatif français ». Leur idée est simple : il s’agit de remplacer les multiples prélèvements actuels par une formule universelle. Leur impôt négatif serait égal à un quart du revenu du foyer auquel est soustrait 500 euros par adulte.

Suivant cette formule, les ménages les plus modestes se trouvent automatiquement aidés, tandis que l’impôt reste progressif pour les plus aisés. Les auteurs proposent de la même manière l’instauration d’une contribution santé universelle et d’une allocation familiale unique de 250 euros par enfant. Ce remodelage radical ne modifierait qu’à la marge les montants des subventions reçues et impôts payés par les ménages. Il ne bouleverserait pas non plus les équilibres des finances publiques. Il aurait en revanche le mérite de simplifier considérablement les circuits de l’État et de rendre compréhensible par tous les citoyens les règles fiscalo-sociales. Un tel saut quantique dans la simplification semble bien sûr utopique. À l’heure des projets de réforme, son esprit pourrait a minima inspirer quelques mouvements…

Article publié dans Le Figaro du 17 mars 2024

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