Impôt négatif : la première mention par Cournot en 1838

Antoine Augustin Cournot
(1801-1877)

Chapitre VI. (pages 74-77)

36. Les considérations développées à la fin du chapitre précédent s’appliquent naturellement à la théorie de l’impôt. Les charges de l’impôt constituent des frais, pour ainsi dire artificiels, assis d’après un plan plus ou moins systématique, dont il est toujours au pouvoir du législateur de fixer, sinon la quotité, du moins la répartition ; et dont, par conséquent, la théorie est en grande partie le but des recherches qui se rattachent à l’économie politique.

Les formes de l’impôt peuvent varier beaucoup : à l’époque où les affaires publiques se traitaient dans le secret, on regardait comme un grand art de savoir diversifier ces formes, de manière, pensait-on, à multiplier les ressources du fisc, sans faire trop apercevoir ses exigences. On a voulu ensuite, d’après une théorie mal entendue, rendre l’impôt aussi uniforme que possible ; et la législation financière qui régit aujourd’hui la France, s’éloignant également de ces deux extrêmes, a reconnu des formes d’impôt essentiellement distinctes, mais en nombre assez limité, qu’elle a classées, d’après des vues de pratique plutôt que de théorie, en deux catégories principales, les impôts directs et les impôts indirects. La contribution établie d’après le revenu net présumé d’un propriétaire ou d’un producteur, est un impôt direct ; la taxe qui frappe une denrée avant qu’elle n’arrive entre les mains du consommateur, est un impôt indirect ; et nous ne nous proposons de parler que de ces deux sortes d’impôts. (…)

Cet impôt, quoiqu’il n’atteigne pas les consommateurs, peut être néanmoins très préjudiciable à l’intérêt général ; non pas principalement parce qu’en restreignant la richesse du producteur imposé, il restreint ses moyens de consommation, et influe sur la loi du débit des autres denrées ; mais surtout parce que la portion prélevée par l’impôt sur le revenu du producteur est employée ordinairement d’une manière moins profitable à l’accroissement du produit annuel, de la richesse nationale, et du bien-être de la population, que si elle fût restée à la disposition du producteur lui-même. (…)

Personne n’emploiera ses capitaux à la création de nouveaux fonds productifs ou à l’amélioration des fonds existants, si, en raison de l’impôt dont se trouvera frappé le produit net de ces capitaux, il ne retire plus l’intérêt ordinaire affecté aux capitaux engagés dans des entreprises du même genre. C’est en fermant un emploi au travail, à l’industrie, qu’un tel impôt, lorsqu’il est exagéré, agit de la manière la plus désastreuse.

La prime, invention des temps modernes, est l’opposé de l’impôt : c’est, pour parler le langage algébrique, un impôt négatif ; en sorte que les mêmes formules d’analyse doivent s’appliquer à l’impôt et à la prime. Mais, à la différence de l’impôt, la prime est assise sur le produit brut : on n’a jamais songé à accorder une prime au produit net ; de sorte que ce n’est vraiment que pour ordre que nous mentionnons ici la prime, à l’occasion de l’impôt assis sur le revenu ou sur le produit net.


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