Petit pas #1 : supprimer le forfait logement

Qu’est ce que le forfait logement ?

L’histoire remonte à l’année 1988. François Mitterrand candidat à sa réélection avait diffusé sa Lettre aux français dans laquelle il expliquait ceci : « Qui sont ces nouveaux pauvres ? Combien sont-ils ? De six cent mille à deux millions selon les estimations. Deux membres des gouvernements d’avant 1981, MM. Lenoir et Stoléru, ont essayé de cerner le phénomène et l’ont décrit dans des livres prémonitoires. (…) Peu importe le nom qui lui sera donné, revenu minimum d’insertion ou revenu minimum garanti… L’important est qu’un moyen de vivre ou plutôt de survivre soit garanti à ceux qui n’ont rien, qui ne peuvent rien, qui ne sont rien. C’est la condition de leur réinsertion sociale. »

Dès après sa réélection et la nomination de Michel Rocard à Matignon, la conception technique du dispositif a démarré. Y ont participé, entre autres : Lionel Stoléru, secrétaire d’Etat chargé du Plan, Bertrand Fragonard, délégué interministériel au RMI, Marie-Thérèse Join-Lambert, conseillère sociale du premier ministre Michel Rocard, Dominique Lefebvre, membre du cabinet de Claude Evin, ministre de la Solidarité, de la Santé et de la Protection sociale, Jean-Michel Bélorgey, président de la commission des affaires sociales de l’Assemblée Nationale et rapporteur du projet de loi.

La création d’un dispositif particulier

La mise au point de la nouvelle prestation RMI a nécessité d’intenses discussions et de multiples arbitrages. Un aspect essentiel était évidemment le niveau de l’allocation, qui a été fixé à 2.000 francs, la moitié du Smic net (3.980 francs en 1988). Une fois ce montant validé par le président Mitterrand, beaucoup de détails restaient à préciser.

Un aspect parmi d’autres concernait la coexistence de la nouvelle prestation avec les aides au logement perçues par la grande majorité des potentiels bénéficiaires du RMI. Fallait-il considérer que les deux allocations étaient indépendantes, chaque bénéficiaire additionnant potentiellement les deux ? Ou à l’inverse, devait-on considérer que le RMI apportait un soutien monétaire incluant l’aide au logement, auquel cas il serait légitime de soustraire l’APL du RMI ? Ce dernier schéma avait été retenu pour la définition de la progressivité du RMI en fonction des enfants à charge : les éventuelles prestations familiales sont généralement soustraites du RMI versé1.

Ces deux thèses extrêmes ont rapidement été exclues, la première parce que les dépenses publiques auraient été trop hautes, la seconde parce que le revenu disponible des allocataires aurait été trop bas. A la suite de l’arbitrage rendu par le cabinet du Premier Ministre, l’aide au logement a été partiellement intégrée, sous la forme d’un « forfait logement » déduit du RMI lorsque l’allocataire est propriétaire, logé gratuitement ou bénéficiaire d’une aide au logement (APL / ALS / ALF). Ce forfait s’appliquait à la quasi-totalité des allocataires.

Cette solution avait deux grandes qualités : l’économie budgétaire était significative… et elle était discrète. Encore aujourd’hui, on estime que 92 % des millions de ménages allocataires du RSA et de la Prime d’activité, héritières du RMI de 1988, soustraient un forfait logement de 76,28€ mensuels par personne (plafonné à trois personnes, soit 188,80 € quel que soit le nombre de personnes au-dessus de trois). Pourtant le montant de référence du RSA, affiché systématiquement, reste le maximum théorique qui ne concerne que moins de 8% des allocataires.

La critique actuelle du forfait logement

Ce forfait logement, calé à 12% du montant maximal du RSA d’une personne seule, a été reconduit sans débat depuis 36 ans malgré les critiques de tous ceux qui l’ont étudié. On en évoque ici trois évidentes.

La première critique concerne la définition des situations de logement (ou plus précisément des catégories administratives, concrètement des cases cochées sur un formulaire) donnant lieu au maintien ou non du forfait logement, aussi bien pour les bénéficiaires du RSA que de la Prime d’activité. Pour le comprendre, il suffit de comparer les deux clichés ci-dessous. Le propriétaire de la masure délabrée à gauche se voit déduit le forfait logement. A l’inverse, le couple logé dans la caravane de luxe, à droite, conserve les 152 € du forfait logement dans le calcul de son RSA ou de la Prime d’activité (en fonction de son revenu). C’est aussi le cas de ceux vivant à la rue, dans des hébergements d’urgence ou dans des squats.

La deuxième critique concerne la progressivité du calcul en fonction du nombre de personnes concernées. Alors que le montant du RSA ou de la prime d’activité d’un couple est de 1,5 fois celui d’un célibataire, le forfait logement qui en est déduit n’est pas 1,5 fois, mais 2 fois supérieur. L’incitation à ne pas vivre en couple ou à ne pas déclarer un lien conjugal s’en trouve augmentée.

Montant du RSA
maximum
théorique
Déduction
du forfait
logement
Montant du RSA
sans forfait
logement
1ʳᵉ personne635,70 €– 76,28 €559,42 €
+ conjoint953,55 € (+50%)– 152,57 €800,98 € (+43%)
+ enfant 11.144,26 € (+30%)– 188,80 €955,46 € (+28%)
+ enfant 21.334,97 € (+30%)– 188,80 €1.146,17 € (+34%)
+ enfant 31.589,25 € (+30%)– 188,80 €1.400,45 € (+45%)

Lecture : le RSA maximal d’un couple avec un enfant n’est pas de 1.144,26 €, mais 16,5% de moins (955,46 €).

La troisième critique est la complication apportée par ce dispositif peu lisible, qui dissocie le montant du RSA affiché officiellement de celui réellement versé. Par exemple, pour les locataires bénéficiaires d’une aide au logement d’un montant très faible, le forfait logement (déduit du RSA ou de la Prime d’activité) est limité à l’APL effectivement reçue. Ceci conduit à cette curiosité : un locataire modeste ne touchant que 1 € d’aide au logement recevrait un RSA de 635 €, alors qu’une personne sans aucune ressource mais logée gratuitement perçoit au mieux un RSA de 559 €.

Comment simplifier ?

La proposition est évidente : il suffit de baisser les montants nominaux du RSA et de la prime d’activité de 12 %, de supprimer le forfait logement et d’assouplir l’aide au logement pour l’élargir à quelques cas particuliers. La première critique tombe immédiatement. La deuxième critique est amoindrie, un couple recevant 1,50 fois ce que reçoit un célibataire (au lieu de 1,43 actuellement). La troisième critique disparaît également, le RSA devenant totalement indépendant de l’aide au logement calculée par ailleurs.

Pourquoi est-ce si difficile de faire simple ?

L’évolution proposée supprime des anomalies et ne fait quasiment pas de gagnants, ni de perdants, parmi les plus modestes. Mais cette rationalisation limitée n’intéresse pas les syndicats et associations qui se mobilisent pour obtenir toujours plus, qui ne dénoncent les anomalies que lorsqu’elles pourraient justifier une harmonisation par le haut. C’est tout l’enjeu de la simplification de nos politiques publiques : intéresser le législateur à une mesure d’intérêt général qu’aucun public ne réclame pour son bénéfice particulier.


  1. Trente-six ans plus tard, c’est toujours le cas pour le RSA, ce qui a des effets étranges. Un couple avec trois enfants ne touche pas 1.400 € de RSA comme indiqué sur le tableau ci-dessus, mais en réalité 865 € compte tenu de la déduction d’une partie des allocations familiales perçues l’année précédente. Son RSA sera alors inférieur à celui d’un couple avec un seul enfant, qui ne perçoit pas d’allocations familiales. ↩︎

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