ATD Quart Monde rend compte des débats internes sur le revenu universel

Extrait de l’audition de Pascal Lallement, délégué national ATD Quart Monde, par la Mission d’information du Sénat sur le revenu de base, le 15 septembre 2016.


AUDITION CONJOINTE D’ASSOCIATIONS DE LUTTE CONTRE L’EXCLUSION

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. – Merci de votre présence devant la mission. Nous attendons avec impatience vos propositions et vos considérations sur le sujet qui nous réunit, le revenu de base. Celui-ci, tel que l’ont imaginé avant nous ses partisans, qu’ils soient de gauche ou de sensibilité plus libérale, serait un outil pour vaincre la pauvreté. Son universalité permettrait d’éviter la question des contreparties qui est souvent, en France comme ailleurs en Europe, au coeur du débat autour des allocations sociales.

Nous souhaitons bénéficier de votre expérience du terrain social et, notamment, de votre contact avec l’exclusion, afin de savoir si le revenu de base peut constituer une réponse aux problèmes que vous rencontrez et aux questions que vous vous posez.

Nous envisageons une expérimentation d’un tel mécanisme. Nous nous sommes rendus en Finlande, où une telle expérimentation est prévue l’an prochain, notamment auprès des chômeurs. Dans ce cadre, nous aimerions recueillir votre sentiment quant à cette éventuelle expérimentation.

M. Pascal Lallement, délégué national d’ATD Quart Monde. – J’ai reçu ce matin un courrier que je ne comptais pas évoquer ici, mais les débats m’y ont fait penser. Une personne en situation de pauvreté, invitée à participer à une université populaire Quart Monde organisée à Toulouse sur le thème du revenu de base, nous a écrit qu’elle refusait de s’y rendre, car elle n’avait pas envie de parler de ce sujet. Elle cherche du travail, indique-t-elle, et elle participera à ce genre de débat quand elle en aura trouvé un, mais pas avant. C’est là un point très important.

ATD Quart Monde est très réservée sur le revenu de base, même si nous n’avons pas encore arrêté une position officielle. Nous y réfléchissons, avec d’autres, comme M. Marc de Basquiat et son équipe. Cela pourrait être, en effet, une réponse aux dysfonctionnements des minima sociaux.

Comme le Secours populaire, nous mettons l’accent sur le Préambule de la Constitution de 1946, aux termes duquel tout être humain en incapacité de travailler est en droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables pour vivre. C’est là tout le sens de notre action. Nous ne voyons pas ce que le revenu de base peut apporter aux très pauvres. Mettons d’abord en oeuvre la Constitution, et soutenons les personnes qui sont dans l’incapacité de travailler ; le RMI allait dans ce sens. Il reste la nécessité d’exister dans la société, d’être utile aux autres et d’avoir sa place. Les deux démarches vont de pair.

Dans cette perspective, il faut rendre les minima sociaux moins complexes, comme le préconise le rapport Sirugue. Demander le RSA est très compliqué, il est presque impossible de mener à bien cette démarche, qui est aussi très intrusive. Qui a envie de déballer ainsi son intimité et sa vie ? Cela aboutit à des non-recours : beaucoup ne demandent pas le RSA parce qu’ils ont honte.

Malgré cela, nous sommes sceptiques quant au revenu de base, parce que nous ne sommes pas certains qu’il représente un progrès pour les très pauvres. La question de l’utilité et du refus de l’inactivité forcée est importante et doit faire partie de la réflexion. Trop de gens sont laissés pour compte, n’ont pas leur place dans la société et doivent être reconnus.

C’était tout l’objet du RMI. Dans les années quatre-vingt, Michel Rocard s’était appuyé sur une expérimentation que nous menions en Ille-et-Vilaine pour lancer le RMI, nous prenant un peu de court. Il faut également organiser la société pour que les gens puissent travailler et que chacun puisse être reconnu.

Voilà ce que les gens concernés nous expriment. On peut réfléchir au rapport au travail, car la société a évolué, mais les familles très pauvres nous rappellent constamment que cette dimension est pour elles absolument essentielle.

De ce point de vue, le revenu automatique présente un danger, car la question du travail et de l’utilité sociale est laissée de côté. Sa mise en oeuvre risque de renforcer l’inactivité forcée.

Appliquons donc pleinement la Constitution, simplifions l’accès aux minima sociaux ; nous n’avons pas forcément besoin de mettre en place un revenu de base pour cela.

À nos yeux, la garantie jeunes, qui se double d’un processus d’insertion, d’accompagnement et de formation permettant de travailler en entreprise, est plus intéressante qu’un RSA rendu accessible dès l’âge de dix-huit ans – cette idée est également évoquée. En effet, le risque serait alors que l’on se dise : « ce jeune a le RSA, inutile de continuer à nous en occuper ». Les très pauvres vivent constamment ces situations. Le bénéfice de la garantie jeunes devrait pouvoir durer plus d’un an, car les jeunes en grande précarité ont besoin de plus de temps. Le dispositif sera d’ailleurs évalué et, sans doute, étendu en 2017.

Nous menons également une expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée ». Dans ce cadre, nous organisons des réunions de chômeurs de longue durée dans les territoires. Je me souviens d’un homme très découragé, en recherche d’emploi depuis des années. Chaque fois qu’on lui donnait la parole, il ne pouvait que dire : « je veux être utile ». C’est pour lui fondamental, comme pour chaque être humain.

Expérimentons ! La région Nouvelle-Aquitaine nous a déjà sollicités pour cela, mais je ne sais pas à quelle échelle elle compte agir et je ne connais pas encore les détails.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. – J’ai moi aussi reçu un courrier de cette région, qui anticipe un peu sur les conclusions de notre rapport. Cela prouve que les territoires sont intéressés !

M. Pascal Lallement. – Une telle démarche permettrait de conduire une évaluation avec des personnes qui connaissent la plus grande insécurité. Les plus pauvres savent de quoi ils parlent et il faut les écouter, car ils détiennent la solution.

(…)

M. Dominique Redor. – Je voudrais apporter quelques clarifications. Nous sommes tous d’accord pour reconnaître que le travail et le marché du travail sont des questions centrales. La segmentation du marché du travail n’est pas non plus contestée. Elle trouve son origine dans la discrimination, la ségrégation, la stigmatisation, mais aussi dans les insuffisances de notre système de formation première et de formation continue. Si nous voulons moins de travailleurs pauvres et un travail décent pour le plus grand nombre, il faudra nous attaquer aux racines de la segmentation.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. – Nous le faisons déjà ! Peut-être pas très bien, peut-être de manière insuffisante, mais nous agissons en faveur de la formation, même si le système de formation professionnelle n’est pas réellement adapté. Pour moi, la première source de discrimination, avec la naissance, c’est que trop de jeunes sortent de l’école primaire sans savoir lire, écrire ni compter correctement ! ATD Quart Monde s’est battu contre cette situation.

M. Pascal Lallement. – Nous continuons !

M. Dominique Redor. – Je constate, monsieur le président, que nous sommes d’accord ! Le revenu de base, qu’il soit de conception minimaliste – amélioration du système de protection sociale – ou plus étendue -instauration du revenu universel -, ne remédiera pas aux facteurs fondamentaux de la segmentation du marché du travail, qui est l’un des grands déterminants du chômage et de la situation des travailleurs pauvres.

M. Pascal Lallement. – Plusieurs écoles existent pour la mise en œuvre du revenu universel. Soyons attentifs à ne pas précariser encore plus les personnes. Quand j’entends dire que l’instauration du revenu de base supprimerait toutes les aides sociales, y compris la couverture maladie et les allocations logement, cela m’affole !

Par ailleurs, quelle société voulons-nous pour demain ? L’informatique et l’automatisation des tâches ont supprimé des emplois. Devons-nous nous satisfaire de cet état de fait ou ne vaudrait-il mieux pas chercher à créer du travail ? C’est toute l’idée du projet « Territoires zéro chômeur de longue durée ».

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