Michèle Pasteur, directrice de l’ANSA, soutient l’expérimentation d’un revenu universel

Audition par la Mission d’information du Sénat de Michèle Pasteur, directrice générale de l’Agence nouvelle des solidarités actives (ANSA) le 14 septembre 2016.


AUDITION CONJOINTE D’ASSOCIATIONS DE LUTTE CONTRE L’EXCLUSION

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. – Merci de votre présence devant la mission. Nous attendons avec impatience vos propositions et vos considérations sur le sujet qui nous réunit, le revenu de base. Celui-ci, tel que l’ont imaginé avant nous ses partisans, qu’ils soient de gauche ou de sensibilité plus libérale, serait un outil pour vaincre la pauvreté. Son universalité permettrait d’éviter la question des contreparties qui est souvent, en France comme ailleurs en Europe, au coeur du débat autour des allocations sociales.

Nous souhaitons bénéficier de votre expérience du terrain social et, notamment, de votre contact avec l’exclusion, afin de savoir si le revenu de base peut constituer une réponse aux problèmes que vous rencontrez et aux questions que vous vous posez.

Nous envisageons une expérimentation d’un tel mécanisme. Nous nous sommes rendus en Finlande, où une telle expérimentation est prévue l’an prochain, notamment auprès des chômeurs. Dans ce cadre, nous aimerions recueillir votre sentiment quant à cette éventuelle expérimentation.

Mme Michèle Pasteur, directrice générale de l’Agence nouvelle des solidarités actives (ANSA). – L’ANSA n’est pas positionnée de la même façon que les autres acteurs, dans la mesure où elle n’intervient qu’en second niveau par rapport aux personnes concernées. Nous accompagnons les associations, l’État ou les collectivités dans la mise en oeuvre de politiques sociales innovantes.

Nous ne nous prononcerons donc pas pour ou contre le revenu de base, mais l’ANSA a été conçue par MM. Martin Hirsch et Benoît Genuini comme une alliance entre public et privé pour répondre aux questions relatives à sa mise en place. L’expérimentation du RSA n’a pas été menée à son terme avant que le dispositif soit transformé, mais nous tirons beaucoup d’enseignements de l’accompagnement des départements qui ont mis en oeuvre le RSA.

Le premier point à souligner, c’est qu’il a toujours été difficile de savoir précisément de quoi l’on parle : s’agit-il de revenu de base, de revenu d’existence, d’allocation unique ? Ce foisonnement de clés d’entrée montre que le sujet est complexe, de même que les positions adoptées par les acteurs. Il importe donc de définir les périmètres pertinents avant de décider de lancer des expérimentations.

Vous faites référence au rapport Sirugue. Il évoque une allocation intégrée à la base, peut-être un revenu d’existence, mais cela ne semble pas très clair. M. Marc de Basquiat avance quant à lui une définition différente.

Il importe donc de savoir de quoi nous parlons. Nous avons préparé une sorte de typologie des différents revenus envisagés, présentée dans un tableau synthétique que nous vous transmettrons.

L’ANSA a pour vocation de lutter contre la pauvreté et pour l’inclusion. Pour esquisser la toile de fond de notre intervention, je citerai ce texte issu de la mise en oeuvre de la stratégie de Lisbonne de la Commission européenne :

« L’inclusion sociale est un processus qui garantit que les personnes en danger de pauvreté et d’exclusion obtiennent les possibilités et les ressources nécessaires pour participer pleinement à la vie économique, sociale et culturelle et qu’elles jouissent d’un niveau de vie et de bien-être considéré comme normal pour la société dans laquelle elles vivent. L’inclusion sociale leur garantit une meilleure participation aux processus de prise de décision qui affectent leur vie et un meilleur accès à leurs droits fondamentaux. »

Ce texte, validé au niveau européen, correspond à ce que prône l’ANSA. La problématique de l’inclusion recouvre un ensemble de dimensions sociales, culturelles et économiques et ne se limite pas à la seule question du revenu. L’instauration d’un revenu d’existence ne résoudra donc pas tous les problèmes liés à l’exclusion – nous nous accorderons sur ce point -, mais elle contribuera peut-être à libérer du temps et des énergies pour aller vers une inclusion sociale, culturelle et, de fait, économique.

Des expérimentations sont bien entendu nécessaires. Vous avez évoqué l’expérience finlandaise, mais d’autres, moins connues car menées hors d’Europe, en Iran ou au Brésil, par exemple, peuvent également présenter de l’intérêt. Des débats ont lieu ailleurs dans le monde sur ce sujet ; il est nécessaire de les prendre en compte.

Il importe d’affirmer dès le départ l’intention de transformation sociétale de ceux qui vont porter cette expérimentation, laquelle ne saurait servir d’alibi. Pour être sérieuse et crédible, et pour produire des résultats probants, elle suppose la mise en oeuvre d’un dispositif coûteux en argent, en personnes, en structures.

Ensuite, comme MM. Denis Clerc, Marc de Basquiat et d’autres l’ont affirmé, il s’agit d’une question sociale et sociétale, même si elle doit avoir des dimensions juridiques et financières. Le travail sur ce revenu ne saurait se résumer à une discussion entre experts pour préparer une expérimentation. Il faut donc envisager une forme d’animation pertinente, comme un jury citoyen, pour construire les termes de référence de l’expérience en associant les personnes concernées, les citoyens, les collectivités territoriales, l’État, mais aussi les entreprises.

J’entends le Secours catholique et le Secours populaire souligner l’importance du travail en tant que présence à la société. S’agit-il toutefois du travail salarié ou de la contribution à la société sous toutes ses formes ? La société se numérise et peut laisser de côté certaines personnes et certains métiers. Se pose donc la question de la place même du travail.

Il faut lancer une expérimentation en s’assurant de la volonté de transformation à l’oeuvre et en lui accordant un temps suffisant. Cela ne se fera pas en deux ans : s’il faut s’en donner dix, eh bien soit !

Il est important que cette démarche soit soutenue par une politique publique engageant l’État et les collectivités territoriales. Ces dernières sont proches des publics concernés et doivent être associées ; cela vaut pour les départements, dont c’est le coeur de métier, mais également pour les autres niveaux. Il en va de même de la société civile, avec les associations et les partenaires sociaux, comme du monde académique et, enfin et surtout, des personnes intéressées. Cette dernière exigence est inscrite dans tous les projets, mais n’est pas toujours respectée. Les associations ici représentées sont là pour faciliter la relation avec les personnes concernées.

Mettre en place une telle expérimentation, rassemblant des acteurs si nombreux, aux points de vue souvent différents, nécessite que la structure chargée de la mener soit choisie avec soin. L’entité qui animera le processus devra être experte, mais neutre, et apte à maintenir le cap sur l’objectif final sans pour autant empêcher quiconque de s’exprimer. Elle devra enfin favoriser la créativité afin de parvenir à un résultat. Je ne cherche pas à faire la promotion de l’ANSA, mais il est vrai que cela correspond à notre profil ! S’agissant d’un sujet aussi complexe et impliquant aussi profondément tous les acteurs, il importe de détenir un véritable savoir-faire en matière d’animation.

Du fait de notre expérience de l’accompagnement des dynamiques d’inclusion, nous savons qu’apporter un revenu ou une allocation ne doit pas amener à se défausser de l’obligation d’accompagner les personnes concernées afin qu’elles puissent trouver leur place dans la société et exercer pleinement leur citoyenneté.

(…)

Mme Sylvie Hanocq. – J’insisterai sur les propos précédents de Michèle Pasteur. Il est important de réaliser une étude de faisabilité avec les acteurs concernés. Il convient de nous interroger sur les conséquences juridiques d’un alignement de tous les minima sociaux, de déterminer l’impact d’une telle mesure sur le budget de l’État et d’examiner les différents systèmes de recettes possibles. Bref, il y a de quoi occuper un bon groupe de travail !

M. Jean Desessard , vice-président. – Je vous remercie tous de vos propositions et du travail que vous accomplissez par ailleurs.

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