Réponse AIRE au policy brief OFCE « Le Revenu universel : une utopie utile ? » publié le 15 décembre 2016.
En cette fin d’année, l’Observatoire français des conjonctures économiques (Ofce) publie un texte bien déroutant pour les contributeurs réunis par cette institution le 13 octobre dernier afin d’échanger des points de vue divergents sur le Revenu universel. La récente publication est à peu de chose limitée à une reprise de l’introduction faite par Henri Sterdyniak en octobre, qui dressait à grands traits sa critique d’une idée n’entrant pas dans son système de pensée.
Sans perdre trop de temps dans les arcanes de son argumentaire, éclairons trois facettes du raisonnement que nous est opposé :
- Henri Sterdyniak énonce avec assurance les paramètres de ce que DOIT être le Revenu universel, pour ensuite expliquer que c’est impossible.
- Il transforme la liberté donnée à chacun de faire des choix rationnels en OBLIGATION faite à certains de rester sans emploi.
- Il réussit la prouesse d’ASSEMBLER dans une même phrase deux critiques opposées.
Le savant paramétrage d’un Revenu universel impossible
Trois chiffres suffisent à comprendre le tour de passe-passe opéré par Henri Sterdyniak sur le montant. Pour les adultes, les promoteurs sérieux d’une forme de revenu d’existence évoquent généralement un montant de l’ordre de 500 euros mensuels, en précisant bien que les aides au logement peuvent s’y ajouter (quelques 300 euros pour une personne seule dans les grandes villes), ainsi qu’un complément d’environ 300 euros pour les actuels bénéficiaires de l’allocation adulte handicapé (AAH) ou personne âgée (ASPA). C’est ainsi qu’une personne seule, handicapé, sans logement, perçoit actuellement de l’ordre de 1.100 euros par mois (soit 500+300+300). Tous ces montants sont maintenus par une proposition telle que le LIBER, définie en continuité du système actuel.
Le premier tour de bonneteau consiste à supprimer subrepticement les aides au logement et clamer que « le revenu universel devrait être au minimum de 785 euros par mois par adulte ». En réalité, puisqu’une proposition telle que le LIBER conserve inchangée l’aide au logement, notre montant de 500 euros ne génère aucun perdant chez les actuels bénéficiaires du RSA.
Ce premier tour de passe-passe est doublé pour le cas des enfants, pour lesquels Sterdyniak énonce avec assurance : « il faudrait donner aux enfants (les moins de 18 ans), 40% de la prestation des adultes, soit 315 euros ». D’où vient ce taux de 40% ? Probablement de la formule de calcul du RSA : pour les deux premiers enfants, le montant théorique du RSA est majoré de 30%, puis de 40% à partir du troisième. En réalité, le montant actuel du complément RSA du troisième enfant est de 214 euros, mais avec ce deuxième tour de bonneteau, on atteint 315 sans effort.
Troisième étage de la construction OFCE, le montant accordé aux personnes âgées et handicapés serait de 1.100 euros par mois. Ainsi, un couple de retraités, même propriétaire de son logement, percevrait 2.200 euros tous les mois en sus de sa retraite. Ce paramétrage du Revenu universel est caricatural.
Avec ces montants super-vitaminés de 785 euros par adulte, 315 par mineur, 1.100 par personne âgée ou handicapée, multipliés par quelques 67 millions de population française en 2016, on parvient mécaniquement à un budget faramineux de l’ordre de 580 milliards d’euros. Henri Sterdyniak calcule 588 milliards, dont il déduit le budget des prestations supprimées, pour évaluer page 10 un montant à financer de 480 milliards d’euros, soit 35% du revenu primaire des ménages. En haut de la page 11, ces 35% de CSG deviennent 40%, sans explication.
Tout ceci n’est pas sérieux. Rappelons que la proposition LIBER, définie en continuité du système socio-fiscal actuel, est financièrement équilibrée par un prélèvement dédié de 23%, qui se substitue entre autres à l’actuel impôt sur le revenu (ce que l’OFCE n’indique pas), sans alourdissement de la pression fiscale globale.
De la liberté à l’injonction
C’est un aspect fascinant de ce policy brief OFCE : il transmute une caractéristique souhaitable de la proposition de Revenu universel – le fait que chacun aura plus de liberté dans sa manière de réaliser ses projets de vie – en formulation autoritaire : « que l’on impose à d’autres qui voudraient travailler de rester sans emploi, sans activité socialement reconnue, avec un niveau de vie de subsistance ».
En relisant à plusieurs reprise le texte, on peine à trouver une explication à ce glissement sémantique, ce qui pourrait faire croire à une maladresse de formulation. La phrase suivante prouve qu’il n’en est rien : « Le revenu de base ne produirait pas une réduction du temps de travail homogène puisque l’incitation à réduire son temps de travail serait beaucoup plus importante pour les individus aux plus faibles salaires ».
Ainsi, dans ce texte, la liberté donnée à chacun de choisir l’activité qui répond le mieux à ses aspirations se transforme en imposition faite aux moins qualifiés de ne pas travailler. L’explication de cette critique acrobatique se trouve dans la conclusion : « Du point de vue de l’emploi, il serait préférable de réaffirmer le droit à chacun à avoir un emploi, cela à court terme par une politique de relance économique (…). À long terme, il faudra réfléchir aux moyens pour que le droit d’obtenir un emploi contenu dans l’article 5 du préambule de la Constitution de 1946 redevienne effectif ».
La vacuité des propositions de ce policy brief est atterrante.
La phraséologie ultime
Constatant les tours de passe-passe d’Henri Sterdyniak sur les chiffres et les idées, ainsi que l’absence de proposition sérieuse pour faire face aux difficultés économiques récurrentes de millions de nos concitoyens – confrontés à une maltraitance administrative permanente – on pourrait estimer que ses propos suffisent à le disqualifier. Mais il a son public. Et les média ingèrent sa soupe sans sourcilier. Car son habileté est désarmante.
A titre d’exemple, nous ne résistons pas au plaisir de citer cette critique en page 7 de la proposition d’une « couverture socle commune » faite par le rapport Sirugue en avril dernier : « Ce serait une simplification en trompe l’œil puisque les bénéficiaires auraient toujours à demander deux prestations (la couverture socle plus le complément) et, surtout, la spécificité des situations serait niée ».
Henri Sterdyniak s’insurge d’abord contre la complication que constitue la conjonction d’un socle commun à tous augmenté dans un quart des cas par un complément conditionnel (handicap ou vieillesse)… puis se plaint aussitôt, dans la même phrase, du fait que le dispositif proposé par Christophe Sirugue ne prend pas assez en compte les cas particuliers. Imparable.
En résumé, la méthode Sterdyniak rend impossible tout dialogue, toute confrontation intellectuelle constructive. Malgré nos efforts pour établir un dialogue sur le fond, nous ne faisons face qu’à une avalanche méprisante de propos définitifs, vaguement chiffrés. Une piètre illustration de ce que devrait être un débat scientifique, mission que se donne l’OFCE : « Mettre au service du débat public en économie les fruits de la rigueur scientifique et de l’indépendance universitaire ».
C’est très décevant.