Le Centre des Jeunes Dirigeants (CJD) soutient une simplification majeure du système social

Extrait de l’audition par la Mission d’information du Sénat de Emmanuel Amon et Sébastien Rouchon, délégués nationaux du Centre des Jeunes Dirigeants (CJD), le 14 septembre 2016.


RÉUNION DU JEUDI 15 SEPTEMBRE 2016

AUDITION DE MM. EMMANUEL AMON ET SÉBASTIEN ROUCHON, DU CENTRE DES JEUNES DIRIGEANTS D’ENTREPRISE (CJD)

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. – Mes chers collègues, nous accueillons, pour cette nouvelle après-midi d’auditions, les représentants du Centre des jeunes dirigeants, le CJD.

En 2011, le CJD a présenté un projet dénommé Oïkos – « la maison », en grec ancien – visant à une refonte générale du système fiscal et social. Ce projet recommandait notamment la mise en place d’un revenu universel, ou d’un revenu de base, venant se substituer à une grande partie des allocations sociales. J’ai découvert ce projet de réforme globale lors d’un colloque du CJD, à Marcq-en-Baroeul. Il m’a semblé intéressant que les membres de notre mission puissent vous entendre.

Cinq ans après, que reste-t-il de votre proposition ? Faut-il y apporter des aménagements ? Qu’entendez-vous par « revenu universel » ?

Sur le plan de de la méthode, est-il envisageable, selon vous, d’expérimenter le revenu de base ? Si tel est le cas, à quelles conditions et sous quelle forme l’envisageriez-vous avant une éventuelle généralisation ?

M. Emmanuel Amon. – Je vous remercie, monsieur le président, de nous avoir invités et d’avoir su décliner en quelques mots la totalité de notre argumentation. Nous allons gagner du temps !

Le Centre des jeunes dirigeants travaille sur le revenu d’existence, encore appelé revenu de base ou revenu universel, non pas depuis 2011, mais depuis 1970. Il ne s’agit donc pas d’un sujet nouveau, et je suis ravi que vous nous donniez l’occasion de replacer ce dossier au-dessus de la pile, si j’ose dire.

J’ai 46 ans et je fais partie du Centre des jeunes dirigeants depuis huit ans. Je suis l’un des membres du comité exécutif du CJD, mouvement patronal, laïc et apolitique. Il s’agit du plus ancien mouvement patronal de France – nous fêterons notre quatre-vingtième anniversaire dans deux ans. L’une des particularités de ce mouvement est de représenter 4 500 chefs d’entreprise TPE-PME, répartis sur tout le territoire français, dans plus de 117 sections, ce qui nous assure une représentativité très forte.

Accessoirement, car je travaille aujourd’hui à mi-temps, je suis également dirigeant d’entreprise. J’ai créé une société d’informatique voilà onze ans, qui conçoit des logiciels de reporting financier dans le Cloud. Nous comptons 90 collaborateurs en France, au Maroc et en Allemagne.

M. Jean Desessard – Qu’entendez-vous par « jeunes dirigeants » ?

M. Emmanuel Amon. – C’est une question d’état d’esprit, monsieur le sénateur. On peut être jeune très longtemps.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. – Vous êtes vous-même un jeune écologiste, monsieur Desessard !

M. Emmanuel Amon. – Pour des raisons statutaires, nous avons décidé de ne pas confier de nouveaux mandats à nos membres au-delà de 45 ans. J’ai donc réussi à attraper mon dernier mandat juste avant l’âge fatidique et, dans deux ans, comme nous sommes opposés à la fois au cumul et à la multiplication des mandats, je quitterai mon poste.

M. Sébastien Rouchon. – Je vous remercie à mon tour de nous avoir invités.

Je suis entré au Centre des jeunes dirigeants en 2011, peu avant la sortie du rapport Oïkos. J’occupe aujourd’hui la fonction de délégué national du CJD en charge de la vie politique.

Je suis également chef d’entreprise. J’ai repris, en 2007, la direction de l’entreprise familiale, Rouchon Paris, qui compte une cinquantaine de collaborateurs. Nous sommes le leader des studios photo à Paris. Nous y recevons des équipes du monde entier. C’est une belle histoire de famille.

M. Emmanuel Amon. – Notre nouveau président, qui a pris ses fonctions en juillet dernier, a décliné son action autour de l’idée que, plus que des entreprises, nous sommes des citoyens.

Nous dirigeons des entreprises révélatrices de citoyens. Cela signifie que nous regardons nos 300 000 à 500 000 collaborateurs, avec leurs familles, comme autant de citoyens. Nous considérons que chacun d’entre nous a le droit, et même l’obligation de mener une action citoyenne dans son entourage.

Nous incluons la question du revenu universel dans notre logique de mandat. Nous sommes extrêmement mobilisés sur les questions d’exclusion, de perte d’identité, de perte de présence au sein de la Cité.

M. Sébastien Rouchon. – Nous intervenons en tant que chefs d’entreprises et en tant que citoyens, comme vient de le rappeler Emmanuel Amon.

À ce dernier titre, nous ne pouvons que constater l’inefficacité du système actuel. J’ai été allocataire du RMI et certains de mes proches sont aujourd’hui bénéficiaires du RSA. Nous voyons bien que certains effets pervers du système empêchent ou dissuadent de revenir dans l’emploi, par peur soit de perdre son revenu, soit des complications liées aux démarches administratives inhérentes au système. Nous ne souhaitons pas nous placer sur le terrain moral. Encore une fois, nous constatons simplement que le système actuel dissuade un certain nombre de nos concitoyens d’aller vers l’emploi.

Or l’universalité du revenu, donc sa simplification, représente selon nous une mesure de justice et d’efficacité sociales dans le cadre de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion.

M. Emmanuel Amon. – Il faut bien mesurer les conséquences économiques et sociologiques du changement de paradigme que nous proposons.

Nous souhaitons remettre l’économie au service de l’homme. Il est donc essentiel, à nos yeux, que tous les citoyens – tout du moins tous nos citoyens, c’est-à-dire tous nos collaborateurs – soient dans une dynamique positive.

Lors de leurs dernières universités d’été, la première préoccupation des membres du MEDEF était de savoir comment atteindre 3,5 % de croissance pour parvenir au plein emploi. Je considère qu’il s’agit d’une aberration totale : il n’est plus possible d’atteindre 3,5 % de croissance, et pas un pays dans le monde ne peut y prétendre, sauf à sacrifier ses ressources ou ses concitoyens.

Nous sommes obligés, aujourd’hui, de prendre en compte le bien-être de nos salariés, de nos collaborateurs. Nous allons donc également travailler sur les conséquences sociologiques et psychologiques de telles mesures.

S’agissant des enjeux économiques, je tiens à préciser qu’il existe une différence fondamentale entre emploi et travail. L’emploi, c’est la promesse du chef d’entreprise ; c’est quelque chose que l’entrepreneur – ou l’auto-entrepreneur – a la capacité de créer.

Le travail est une notion beaucoup plus large : on peut travailler sans avoir de véritable emploi, tout comme on peut travailler en ayant de multiples emplois. Il s’agit d’une distinction importante, car l’emploi est la clef de voûte de nos actions.

Pour créer de l’emploi, il faut pouvoir s’appuyer sur une vision prospective de l’évolution des individualités et de l’économie. Or les seules visions dont nous disposons sont celles d’une destruction d’emplois via l’automatisation et la robotisation.

Je suis expert-comptable de formation. J’ai toujours refusé d’embrasser cette profession, car je sentais que quelque chose n’allait pas. Il semble que l’histoire m’ait donné raison : l’automatisation des tâches a conduit à une paupérisation de cette profession. Plus personne ne confie ses factures à son expert-comptable : elles sont scannées, puis envoyées vers un centre de traitement quelque part dans le monde. L’expert-comptable ne sert plus qu’à contrôler. Les professionnels eux-mêmes se donnent une durée de vie comprise entre dix et vingt ans…

Cette destruction d’emplois est aussi liée en partie aux contraintes fiscales et sociales. Les charges des entreprises sont telles qu’il est plus coûteux d’embaucher que d’investir dans l’automatisation.

La question du revenu de base est absolument fondamentale. Ce dernier peut nous permettre d’offrir une sécurité à long terme à toutes les personnes désireuses de travailler. Quand on accepte un emploi aujourd’hui, on sait que l’on y restera 5, 10 ou 15 ans… Pour la suite, on verra bien. Je dois en être à ma deuxième vie professionnelle ; mes enfants, qui commencent leur première, en auront sans doute trois, quatre ou cinq… Il faut donc avoir une capacité de rebond. Et le revenu de base permet d’avoir une telle capacité.

Économiquement, ce dispositif a du sens. Il va servir de terreau favorable à tous les acteurs. Les gens pourront chercher un emploi sans crainte. Ils pourront eux-mêmes créer leur travail.

M. Sébastien Rouchon. – Le revenu de base aurait sa place dans le dispositif de sécurisation des parcours professionnels dont il est aujourd’hui question. Son côté universel et simple en fait un outil très intéressant, équitable et juste.

S’agissant de la lutte contre la pauvreté, ce n’est pas une allocation de 470 euros par mois qui va permettre à des millions de Français de vivre sans activité ni travail – si certains y arrivent et sont très heureux comme cela, grand bien leur fasse ! Encore faut-il qu’ils trouvent du travail.

Le revenu de base, ou revenu universel, peut permettre aux personnes en situation de précarité, à ceux qui travaillent à temps partiel – qu’ils l’aient choisi ou non -, à ceux qui gagnent le SMIC, de maintenir un niveau de vie plus digne.

Pour nous, chefs d’entreprise, cette sécurité, c’est aussi de la tranquillité, de la sérénité pour nos collaborateurs, elle-même source de bien-être, donc de performance.

Par ailleurs, sans ouvrir le débat sur les insiders et outsiders du marché du travail, un tel dispositif permettrait de réguler quelque peu les inégalités inhérentes à la transformation du monde du travail. On parle des auto-entrepreneurs, du travail à temps partiel… On peut vouloir faire entrer tout le monde dans le CDI à temps plein, mais on peut aussi trouver d’autres solutions, telles que le revenu universel, pour permettre à ceux qui subissent cette situation de précarité, dont il est de plus en plus difficile de sortir, de mieux la vivre.

M. Emmanuel Amon. – Je crois fondamentalement que la pyramide de Maslow, qui distingue les catégories de besoins humains, existe. On en revient toujours au même principe : il faut couvrir notre besoin de survie. Le revenu universel va nous permettre non seulement de couvrir ce premier besoin, mais aussi de donner le goût, l’envie, à tout un chacun de développer du travail.

C’est là que les choses se compliquent : comment donner le goût du travail ? Quel sens donner au travail ? Comme je vous le disais, l’emploi est un débat de chefs d’entreprise ou de statisticiens de l’INSEE. Je laisse aux politiques le soin de discuter des chiffres.

Le travail est l’un des fondements de notre vie. Il est absolument nécessaire de redonner le goût du travail à tout le monde. Une des problématiques est celle de l’éducation. Les enfants sont parfois abandonnés sur des chemins qui ne sont pas les leurs. Par ailleurs, certaines personnes perdent leur emploi et se retrouvent à l’abandon, faute d’un relais idoine. Quand vous arrivez chez Pôle emploi, on vous dit que vous avez dix-huit mois pour vous reconfigurer, sans vous donner les bons rails pour y parvenir !

Il faut absolument se montrer pédagogue, dès le plus jeune âge des individus. Nous devons expliquer le sens du travail. Tout au long de leur vie, nos collaborateurs doivent chercher à étendre cette notion de travail. L’entreprise peut alors devenir un lieu de pédagogie où il est possible de parler à la fois emploi et travail.

Cela signifie aussi que les collaborateurs aient envie de venir dans leur entreprise – il faut donc de bonnes conditions de travail – et que le chef d’entreprise se fixe comme objectif d’amener ses collaborateurs à cet épanouissement.

Il faut également prévoir une forme de régulation pour que certains chefs d’entreprise ne soient pas tentés de profiter de la mise en place du revenu de base pour baisser les salaires.

Enfin, pour faciliter la capacité de rebond que j’évoquais voilà quelques instants, les collaborateurs devraient disposer d’une sorte de passeport travail qui leur permettrait, dès la sortie des études et tout au long de leur vie professionnelle, de profiter de formations adaptées ou, par exemple, d’aides à la création d’entreprises.

Tout cet aspect sociologique peut donc être encadré par diverses mesures. Et nous n’avons même pas encore abordé le volet fiscal !

M. Sébastien Rouchon. – Vous l’avez compris, philosophiquement, nous sommes très attachés à ce revenu universel. Maintenant, il nous faut peut-être aborder les sujets qui fâchent…

Sans vouloir entrer dans une discussion très technique, car nous ne sommes pas de grands économistes et nous aurions du mal à estimer le financement d’une telle mesure…

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président . – Vous pouvez tout de même nous donner une estimation…

M. Sébastien Rouchon. – … je ne sais même pas si la mise en place d’un revenu universel est réalisable. Je pense qu’un tel dispositif doit s’inscrire dans une grande refonte fiscale.

Pour lutter contre la pauvreté, nous sommes tous prêts à créer de l’emploi. Moi, j’ai du travail à fournir, mais je ne sais pas comment le rémunérer : certains de mes collaborateurs sont surchargés, mais comme je ne fais quasiment pas de bénéfice, je ne peux transformer ces gisements de travail en emplois. Ce sont pourtant de ces emplois dont ont besoin tous ceux qui sont au chômage ou en situation d’exclusion.

Il faut se pencher sur l’efficacité sociale et économique du revenu universel.

M. Emmanuel Amon. – S’il est quelque chose que les entrepreneurs adorent, c’est bien le millefeuille fiscal. S’il vous plaît, créez une taxe ou un impôt supplémentaire ! Nous adorons remplir des papiers, c’est tellement intéressant !

La priorité des priorités est de repenser notre système fiscal. Nous n’avons pas changé d’un iota sur cette question depuis des années. En 2011, on devait en être à 253 taxes diverses et variées ; cinq ans plus tard, nous approchons le seuil des 300. Il faut parvenir à réduire ce nombre. Il faut oublier pour de bon les dix mesures qui couvrent le salaire minimum et dont je suis incapable de retenir les dénominations. Si c’est universel, c’est sans condition !

Sans entrer dans des questions de politique migratoire qui ne nous regardent pas, il faut bien avoir en tête que fournir un revenu universel peut très bien générer un flux de migrants. Il faut aussi faire en sorte de verser ce revenu à ceux qui viennent travailler en France.

Refondre le paysage fiscal au niveau des aides signifie également prendre en compte certaines étapes de vie.

Sur les chiffres, nous allons vous répéter ce qui vous a sans doute déjà été indiqué : il faudrait que le montant de ce revenu de base tourne aux alentours de celui du RSA, c’est-à-dire entre 450 et 470 euros.

Ce qui est sûr, c’est qu’il faut, pour que le mécanisme fonctionne, prendre en compte la cellule familiale, c’est-à-dire les enfants. Le revenu de base doit être versé à ceux qui ne sont pas en âge de travailler comme à ceux qui ne sont plus en âge de le faire. Dans ce dernier cas, je vous laisse fixer la limite. Selon nous, c’est 75 ans, pour d’autres, 55 ans… La fourchette est large !

Il faut aussi prendre en compte la question du handicap. Il n’y a pas de raison pour qu’une personne qui ne peut accéder à l’emploi en raison d’un handicap bascule dans une paupérisation.

En mettant tous ces éléments bout à bout, l’idée est de parvenir à un montant à peu près équivalent aux dépenses de l’État en matière d’aides sociales – RSA, allocations familiales…

M. Sébastien Rouchon. – La refonte de l’impôt sur le revenu et la question du foyer fiscal constituent un vrai sujet…

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président . – Si j’ai bien compris, dans votre proposition, vous ne taxez plus le revenu, mais l’actif : entreprise ou individu, c’est l’actif net qui est pris en considération. Est-ce bien cela ?

Vous proposez un revenu de base de 470 euros – un peu moins pour les enfants. Nous avons besoin d’éléments très précis sur votre projet, lequel s’inscrit dans un système fiscal rénové, refondu, mais conçu pour rester à l’équilibre dans les termes du marché et du PIB actuels. Il n’y a donc rien d’irréaliste.

M. Emmanuel Amon. – Tout à fait ! L’objectif d’équilibre n’est absolument pas irréaliste.

Pour parler de fiscalité, il faut aborder la question du financement de ce revenu universel. Contrairement à certaines théories selon lesquelles il faut refondre la totalité du système fiscal en une fois, nous pensons qu’il est possible de procéder par étapes : d’abord, la mise en place du revenu universel, puis, dans un second temps, la création de la taxe sur l’actif net, la TAN. On peut également revoir la TVA et les différents mécanismes existants. Il est tout à fait possible d’envisager une période de transition.

Il faut se montrer très pragmatique et très humble par rapport à l’existant. On a des modèles économiques qui fonctionnent, un environnement qui se prête à cette approche. Si vous expliquez à un bénéficiaire du RSA que le revenu de base va lui permettre de couvrir son besoin primaire et d’amorcer un retour vers le travail, puis vers l’emploi, il va entendre ce discours de sortie par le haut.

La notion de prélèvement à la source est importante dans notre économie, car nous touchons des revenus qui proviennent de salaires, mais pas seulement. Nombre de personnes sont propriétaires fonciers, par exemple, et perçoivent des loyers. Le patrimoine doit donc aussi entrer en ligne de compte.

Il faut faire très attention. Si l’on commence à financer le revenu universel par l’impôt sur le revenu, dont le barème est progressif, on va se retrouver à taxer les hauts salaires et non les bas salaires… Cela risque de créer davantage de déséquilibres. Et si nous faisons reposer son financement sur les charges sociales des entreprises, cela risque de plomber nos comptes, alors que nous sommes juste à l’équilibre.

Notre modèle de revenu universel est fondé sur un taux de TAN ou de TVA – l’une des taxes les plus équitables qui soit – suffisamment élevé. Il est possible de s’appuyer sur l’impôt sur le revenu et sur une taxation des entreprises, mais de façon réduite et plus équitable.

M. Sébastien Rouchon. – Il ne faut pas attendre du revenu universel qu’il sorte tout le monde de la pauvreté. Il s’agit d’un élément parmi d’autres, comme l’activité et le travail.

Aidez-nous à créer des emplois. Nous avons envie de créer des emplois, nous avons du travail à offrir ! Si l’on veut redonner aux entrepreneurs les moyens de créer de l’emploi, si l’on veut rendre à nos concitoyens l’envie d’aller chercher un travail, il faut faire en sorte que cette recherche ne soit pas pénalisante.

Si le fait d’accepter un emploi, ne serait-ce qu’un CDD d’un ou de deux mois, provoque l’arrêt des aides sociales et qu’il faut entrer dans un enfer administratif pour en bénéficier de nouveau, cela ne marchera jamais.

Il faut permettre aux entreprises de créer les emplois dont ces gens ont besoin et dont nous avons besoin. Aujourd’hui, il y a beaucoup de travail qu’on ne peut payer 15 euros de l’heure. Quand on compare le SMIC, les charges et le temps administratif associés à un emploi, d’une part, au coût de la robotisation, d’autre part, le travail n’est pas compétitif. Quand l’entreprise est juste à l’équilibre, elle ne peut se permettre le luxe de recruter trois personnes au lieu d’investir dans la machine.

Le projet Oïkos envisageait de porter le taux de la TVA à 25 %. Si l’on veut créer des emplois, si l’on érige la lutte contre le chômage en priorité des priorités, pourquoi la chose la plus taxée dans notre pays est-elle le travail ?

De même, si l’on dit qu’il faut limiter la consommation pour sauver notre planète, pourquoi la consommation est-elle relativement peu taxée dans notre pays ?

M. Jean Desessard – Tout à fait !

M. Emmanuel Amon. – Le CJD est tout à fait à même de créer un terrain expérimental. Nous l’avons déjà fait pour les comités d’entreprise, l’intéressement et même le travail à la carte, devenu les 35 heures. Nous sommes capables de mener des campagnes d’envergure.

Nous pouvons monter, pendant six mois ou plus, des simulations dans lesquelles les entrepreneurs calculeraient les impôts et reverseraient aux salariés l’équivalent monétaire de ce qu’ils percevraient, revenu universel inclus. Nous saurions le faire, dans toute la France et dans tout type d’industrie ou d’entreprise, à la condition d’être accompagnés. C’est notre grande force.

M. Daniel Percheron , rapporteur . – Hier, tous les syndicats étaient réunis autour de cette table pour une leçon limpide de syndicalisme à la française.

Nous vous avons écoutés avec beaucoup d’intérêt. Vous êtes allé sereinement à l’essentiel : la société française est profondément inquiète, ce que nous sentons tous. Nous sentons même qu’elle serait collectivement capable, ici ou là, à telle ou telle occasion, de faire des bêtises. Vous avez bien expliqué qu’elle est inquiète parce que le monde, tel qu’il est, lui semble difficile à vivre et à conquérir.

En tant que chefs d’entreprise, vous avez dit très justement que la sécurisation des parcours est au coeur d’une demande plus ou moins exprimée des Français, salariés ou chefs d’entreprises.

Les réponses venues d’en haut – je pense, par exemple, au compte personnel d’activité – n’ont pas encore rencontré une véritable adhésion. Le labyrinthe des aides sociales, dont nous sommes les champions du monde, n’est plus capable de rassurer nos concitoyens. Nous sommes entièrement d’accord avec votre approche.

Le revenu universel peut être l’une des réponses à cette inquiétude profonde. En France, un peu plus qu’ailleurs, contrairement à ce que disent les différents analystes, l’obsession de supprimer des emplois, de rationaliser et de robotiser pour gagner en productivité est au coeur même de la sphère publique.

Jusqu’à présent, nous avons comblé cette faille dans notre dispositif par l’endettement. Nous vivons socialement notre cohésion par l’endettement. Nous empruntons 200 milliards d’euros par an. Le miracle, contrairement à ce que tout le monde dit, accompagne bien le Président de la République et le Premier ministre : nous empruntons à 0 % ! Mais si, demain, ces taux montent à 2 %, 3 % ou 4 %, nous serons plus proches du modèle espagnol que du modèle scandinave.

Selon vous, le consommateur pourrait faire plus d’efforts que le salarié ou l’entreprise. Nous partageons également cette approche.

Nous écoutions les syndicats avec beaucoup de respect. Le fait de renvoyer la charge de la protection sociale vers l’entreprise et l’endettement est une facilité que les Trente Glorieuses nous ont appris à maîtriser. Quand nous avions quelques difficultés, la dévaluation venait à notre secours. Aujourd’hui, ce n’est plus possible, à moins de recourir à la dévaluation intérieure, c’est-à-dire à la baisse du niveau de vie d’une nation. Mais ce que nous avons infligé aux Grecs et aux Portugais, les Français ne sauraient le supporter.

Je pense que la manière dont vous abordez le projet est tout à fait remarquable. Vous avez évité de brandir le chiffon rouge du financement. Même à 560 euros, c’est 7 % du PIB ! Mais il existe des marges de manoeuvre.

Je lisais avec étonnement, même si je m’en doutais, que l’aide publique aux entreprises était de 130 milliards d’euros par an et les charges pesant sur ces mêmes entreprises de 150 milliards d’euros. Il y a d’immenses gisements à explorer et à redéployer pour, progressivement, par l’expérimentation, apprivoiser la notion de revenu universel.

M. Jean Desessard – Je vais m’inscrire dans les pas de Monsieur le rapporteur.

J’ai eu beaucoup de plaisir à vous entendre. Il est intéressant de voir que la plus ancienne association des entreprises de France a un langage différent de celui qui est prêché par le MEDEF !

De la même manière, vous posez le problème du revenu de base d’une manière différente, même s’il reste à en chiffrer les modalités.

Il paraît que je n’aime pas les patrons ! Monsieur le président, vous pourrez dorénavant dire, même en séance publique si nécessaire, que j’aime bien ce type de patron ! Il existe des patrons dont j’apprécie la philosophie, les projets et leur façon de voir les choses. Les écologistes ne sont pas opposés aux entreprises. Nous partageons les objectifs d’un certain type de patronat.

Je partage aussi votre souhait d’augmenter la TVA pour baisser les cotisations et être compétitifs au niveau mondial. Il n’est pas possible de se mettre des chaînes que ne portent pas les autres pays. En matière de cotisations, il faut opérer un transfert des salaires vers la consommation. C’est une démarche que notre président partage, de même que le rapporteur, représentant du groupe socialiste, même si ce n’est peut-être pas encore le cas de l’ensemble de son groupe…

M. Daniel Percheron , rapporteur . – Les consommateurs doivent prendre lucidement leur part.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. – Merci de cet exposé. Le CJD est connu et reconnu comme agitateur d’idées. Il nous aide à défricher certains terrains.

Dans la dernière partie de votre propos, vous disiez être volontaires pour expérimenter à la fois le prélèvement à la source et la distribution du revenu de base. N’y a-t-il pas un risque que la rémunération du travail se fasse de façon résiduelle, c’est-à-dire à la tête du client ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. – Il s’agit d’une très bonne question, en effet. C’était l’un des arguments des syndicats, qui décrivaient ce dispositif comme une trappe à bas salaires, comme un « cadeau aux patrons ».

S’agissant de l’expérimentation – j’en discutais hier avec Monsieur de Basquiat -, vos idées nous intéressent. Quel type d’expérimentation est-il possible d’envisager ? Quel objectif, quel modèle, quelle évaluation ? L’idée est de parvenir à une généralisation du revenu, même par étapes. Faites-nous part de vos idées, et nous en ferons bon usage.

M. Emmanuel Amon. – Sur la question de l’expérimentation, ce qui est compliqué, c’est de monter le mécanisme. Toutefois, si nous sommes accompagnés, sur une période définie et en posant le cadre nécessaire, nous pouvons le faire, nous savons le faire.

M. Daniel Percheron , rapporteur – L’expérimentation pourrait recouper ce que Louis Gallois disait, d’une autre manière, à propos des territoires « zéro chômage de longue durée » : il y a du travail pour tout le monde. Vous avez nuancé les choses en ajoutant que vous ne pouviez transformer ce travail en emplois au SMIC.

Dès lors, pour éviter que le revenu de base ne devienne l’alibi de la rémunération résiduelle, vous pourriez vous associer à la vision des territoires « zéro chômage de longue durée », qui deviendraient aussi des territoires « revenu de base ». Le travail existe, le revenu de base n’est pas fait pour l’oisiveté. Je salue votre engagement à faire vivre, dans les contraintes de vos entreprises, le revenu de base.

M. Sébastien Rouchon. – On a déjà su parfaitement créer des mécanismes de trappes à bas salaires. Je pense à la réduction Fillon et au CICE, par exemple. Je ne sais pas si l’on peut faire bien pire… Tout ce qui est conditionné crée les conditions de distorsion du marché.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. – Il s’agit toujours d’un salaire basé sur le SMIC et non d’un bas salaire.

M. Daniel Percheron , rapporteur. – Nous avons la tentation de circonscrire le revenu de base aux jeunes de 18 à 25 ans qui ne bénéficient d’aucune prestation sociale.

Notre objectif est de faire en sorte que le revenu de base, à l’instar des territoires « zéro chômage », permette à ces jeunes de trouver du travail, y compris dans le secteur marchand. Nous voulons que le travail soit transformé en emploi, comme on nous l’a expliqué hier. Pourriez-vous vous associer à cette vision ?

M. Sébastien Rouchon. – Personne ne peut ignorer que les bas salaires existent aujourd’hui : ils sont simplement illégaux, ce qui permet de jeter un voile sur eux. Si l’on voulait les rendre légaux, ils n’existeraient plus.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président . – Il s’agit du travail clandestin, mais aussi des travailleurs détachés.

M. Sébastien Rouchon. – On dispose aujourd’hui de moyens pour faire diminuer non pas les salaires, mais le coût du travail, ce qui libérerait de l’emploi. Il y a de la marge de manoeuvre avant de baisser le salaire net.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe – Si l’on veut convaincre les syndicats de la justesse de cette vision, il faut pouvoir répondre à l’argument de la diminution des salaires. Le revenu de base ne doit pas être un alibi permettant de ne pas rémunérer le travail et l’effort des hommes au juste prix.

M. Emmanuel Amon. – Les syndicats ont surtout peur des réactions des dirigeants d’entreprises. Pour y répondre, on pourrait mettre en place une sorte de permis à points, similaire au permis de conduire, pour les chefs d’entreprise. Un crédit d’impôt représente une autre solution possible, à l’instar du CICE. Celui-ci s’est certes révélé formidable pour les grandes entreprises, mais pour nous, PME, c’est la pire des choses ; du moins en profitons-nous de façon très modérée. On peut néanmoins envisager un système de crédit d’impôt dont l’entreprise bénéficierait sous réserve qu’elle n’ait pas procédé à des baisses de salaire.

M. Sébastien Rouchon. – Un système similaire existe déjà dans mon domaine, l’audiovisuel. La Commission nationale de la certification sociale vérifie tous les deux ans que nous respectons nos obligations légales et conventionnelles, en contrepartie desquelles nous pouvons employer des intermittents du spectacle. On sait aujourd’hui contrôler la réalité du travail dans les entreprises et leur capacité à bénéficier de certains dispositifs.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. – Nous devons malheureusement clore ce débat fort intéressant. Je vous remercie de vos interventions.

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