La mission d’information sur la politique familiale pilotée conjointement par les députés Grégoire Chiche (LREM) et Gilles Lurton (LR) a débouché sur un constat de désaccord ce mardi 20 mars 2018. Cet échec est d’autant plus regrettable que lors de nos rencontres, ces députés semblaient partager le constat des anomalies de notre système et la volonté d’y porter remède.
Ainsi, nous avons cru un temps qu’il serait possible de réaliser un consensus historique sur un sujet qui polarise la France depuis des décennies :
- la droite défend le « quotient familial » avec le prétexte d’une « équité fiscale » alors que dans les faits ce dispositif favorise essentiellement les familles nombreuses des classes moyennes-supérieures et aisées ;
- la gauche voit la politique familiale comme un instrument d’égalisation des revenus, des riches vers les familles pauvres.
Ce débat est un poison redoutable qui prive la France de la perspective d’une réforme sensée et équilibrée, dont l’enjeu non négligeable est le soutien financier de la communauté à la parentalité. La robustesse de cette politique contribue probablement au maintien de la natalité, à la réduction de la pauvreté des familles avec enfants, à l’égalité des chances, à la lutte contre la délinquance… Il serait bienvenu de rechercher des solutions efficaces et consensuelles !
A l’inverse, depuis hier, nous sommes retombés dans le psychodrame récurrent sur « la défense du quotient familial ».
Disons le crument : si certains mettent autant d’énergie à défendre ce mécanisme, c’est qu’il est facile en réalité de démontrer son ineptie. Le quotient familial est régressif – dans le jargon des économistes – ce qui signifie qu’il avantage ceux qui sont déjà les mieux lotis. Cette réduction d’impôt n’intéresse évidemment pas les foyers non imposables mais beaucoup ceux qui cherchent à minimiser une ponction annuelle élevée sur leur revenus.
Bien évidemment, les familles modestes ont droit à d’autres formes d’aides, inconnues des plus riches… Illustrons cela par des chiffres, avec des familles de trois enfants (de 3 à 13 ans) qui différent par le niveau de leurs revenus.
Simulation
Un couple aisé diminue son impôt annuel grâce au quotient familial, plafonné à 6.108 euro, soit 509 euros par mois. Il perçoit également les allocations familiales du niveau minimal (divisé par 4), soit 74,06 euro par mois. Au total, la politique familiale pour les parents aisés de trois enfants est une aide de 583 euro maximum par mois.
Un couple sans aucun revenu voit son RSA majoré de 514,39 euro par la présence de ses trois enfants à charge. Il faut y ajouter le Complément familial, plus précisément la différence entre le montant majoré et le montant de base, soit 67,68 euro, et l’allocation de rentrée scolaire, 748,26 euro par an équivalant à 62,36 euro par mois. Bilan (en faisant abstraction d’autres mécanismes conditionnels dont les aides au logement) : la politique familiale pour les parents pauvres de trois enfants, c’est 644 euros par mois.
Pour un couple dont un des parents travaille pour un salaire (médian) de 1.800 euro net, on combine les allocations familiales au taux maximum, à 296,23 euro par mois, le complément familial non majoré de 236,70 euro, l’allocation de rentrée scolaire équivalant à 62,36 euro par mois et un petit effet du quotient familial, 102 euro par an, soit 8,50 euro par mois. Dans ce cas médian, la politique familiale c’est 604 euro par mois.
C’est une catastrophe pour notre démocratie que les mécanismes mis en œuvre soient aussi différents pour les trois configurations étudiées. Cet état de fait rend extrêmement compliquée la discussion sur les améliorations à apporter à la politique familiale.
L’informatique nous aide dans cette compréhension, mais au prix d’un effort important. Notre simulateur lemodele.fr est librement à la disposition de ceux qui voudraient tester diverses configuration pour comprendre les mécanismes actuels.
Une juxtaposition incohérente de dispositifs
Le travail patient réalisé par Léon Régent permet de caractériser la résultante des dix principaux mécanismes redistributifs calculés en fonction du nombre d’enfants à charge, de leurs âges, du niveau de ressources des parents, de leur statut matrimonial…
Ces courbes qui montrent le niveau de l’aide par enfant induite par la politique familiale française sont sidérantes. Pourquoi les parents de certains enfants n’ont droit à aucune aide alors que d’autres perçoivent jusqu’à 380 euro par mois pour chacun de leurs enfants ?
Si le sujet n’était aussi grave, on serait tenté de sourire devant ce graphique illustrant mieux que tout discours pourquoi il est urgent de réformer radicalement notre politique familiale.
S’accorder d’abord sur les principes
Pour remettre un peu de cohérence dans ce maquis, il est indispensable de s’accorder au préalable sur les principes fondamentaux qui doivent guider la politique familiale. Nous proposons de poser trois règles en rupture avec l’état de fait :
- Une aide doit être versée aux parents de chaque enfant à charge, dès le premier.
- Elle doit être indépendante de son rang dans la fratrie.
- Elle doit également être indépendante des ressources financières de ses parents.
Une discussion pertinente sur l’avenir de la politique familiale devrait se concentrer sur les principes avant de s’égarer dans des luttes politiciennes sur le quotient familial. Les échanges que nous avons eus avec divers responsables politiques et experts de ces questions montrent que ce sont les questions clés, qui structureront la réforme.
En termes d’économiste, un enjeu clé est de recentrer la politique familiale sur la « redistribution horizontale » des ménages sans enfant vers les familles avec enfants. Il s’agit d’en éliminer toute composante de « redistribution verticale », des riches vers les pauvres, qui est l’objet des politiques fiscales et sociales.
Combiner trois réformes
Ayant fait l’hypothèse que les trois principes énoncés feront suffisamment consensus, on déduit de façon assez mécanique les caractéristiques techniques de la réforme à mettre en œuvre. En l’occurrence, il s’agit de synchroniser trois volets :
- Étendre l’allocation familiale au premier enfant (réalisée de fait par le RSA pour les pauvres et le quotient familial pour les riches) pour toutes les catégories de revenus.
- Supprimer la dégressivité du montant des allocations familiales introduite sous la présidence de François Hollande.
- Supprimer le quotient familial qui compense grosso modo la dégressivité des allocations familiales pour les classes moyennes-supérieures et aisées.
Lorsque la combinaison équilibrée de ces trois réformes sera comprise par tous, y compris les défenseurs zélés d’un quotient familial dont ils ne semblent pas percevoir qu’il n’a un effet significatif que pour les familles du plus haut décile de revenus, il sera possible de progresser.
A défaut, le nécessaire débat démocratique sur la politique familiale sera remplacé par des joutes politiciennes qui font le bonheur des média et le malheur du peuple. La politique familiale restera compliquée, inéquitable et inefficace… jusqu’à la prochaine crise.