Chantal Richard rend compte du débat interne à la CFDT

Audition par la Mission d’information du Sénat de Chantal Richard, secrétaire confédérale CFDT, le 14 septembre 2016.


RÉUNION DU MERCREDI 14 SEPTEMBRE 2016

A. AUDITION CONJOINTE D’ORGANISATIONS REPRÉSENTATIVES DE SALARIÉS

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. – Mesdames, Messieurs, la mission d’information sur l’intérêt et les modalités d’un revenu de base en France vous reçoit aujourd’hui. Elle revient d’un déplacement à Helsinki, car la Finlande a pris les devants dans la réflexion en ce domaine. Il est rare que les Finlandais soient ainsi sur le devant de la scène ; c’est ce qui fait tout l’intérêt de leur expérimentation, dont ils sont d’ailleurs très fiers.

Je laisse le soin aux représentants de chaque organisation syndicale de salariés de se présenter. Nous attendons que vous nous disiez ce que vous pensez de cette idée de revenu de base, ou d’allocation universelle, suivant le nom qu’on lui donne. Les objectifs sont partagés par des représentants de formations politiques de droite comme de gauche, bien que tout le monde ne soit pas forcément sur la même longueur d’ondes, souvent par méconnaissance du sujet.

On rencontre parfois des réactions instinctives. On a entendu dans nos propres rangs que ce projet constituait une prime à la paresse : pourquoi travailler si l’on touche un revenu de subsistance ? Comment le financer ? Ce sont toutes ces questions que nous avons retrouvées en Finlande, dont le gouvernement de coalition, présidé par un centriste, s’est saisi du sujet.

Les différents partis finlandais, à droite comme à gauche, s’y intéressent. Cette question est en débat et donnera vraisemblablement lieu, en cas d’adoption par le Parlement, à une expérimentation restreinte dans son périmètre, puisqu’elle ne concernera pour l’essentiel que deux mille demandeurs d’emploi. Le gouvernement finlandais espère toutefois pouvoir multiplier ce nombre par quatre ou cinq grâce à l’enveloppe de 20 millions d’euros dont il dispose.

Un certain nombre de questions vous ont été posées. Nous attendons de connaître votre opinion. Notre mission devra également en débattre pour dégager si possible un consensus sur une position commune. Ce sera ensuite au Gouvernement de décider s’il se saisit ou non de nos préconisations.

L’idée nous apparaît généreuse. Aucun Français ne s’opposerait à vaincre la pauvreté. Le problème est de savoir comment faire. D’où part-on ? Avec quoi finance-t-on ce projet ? Quel objectif nous assignons-nous ?

La parole est au rapporteur.

M. Daniel Percheron , rapporteur. – Vous l’avez dit, monsieur le président, à la surprise générale, le gouvernement finlandais a décidé de se saisir de cette belle idée, qui vient de loin. Ceci est d’autant plus intéressant que le débat a lieu chez nous : chaque côté de l’échiquier politique s’en est saisi, parfois avec beaucoup de talent. Je pense à l’audition de M. Lionel Stoléru, qui s’est exprimé sur plusieurs thèmes : recul de la pauvreté, défis technologiques, chômage de masse. Le revenu inconditionnel de base pour tous est une idée qui réapparaît au moment où, à travers le monde, nous assistons à un transfert de richesses sans précédent dans sa rapidité et son intensité. Il n’est qu’à considérer les débats passionnés autour du site d’Alstom à Belfort.

L’Europe se pose des questions quant à son avenir industriel, économique, et à la façon de maintenir la protection sociale.

Nous avons entendu en Finlande des acteurs mesurés et apaisés parler de cette expérience. Il s’agit d’un pays où la protection sociale est la plus développée au monde, dont la richesse est comparable à la nôtre et où le nombre d’habitants équivaut presque à celui de la population des Hauts-de-France. C’est donc avec beaucoup d’intérêt que nous les avons écoutés.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. – La parole est aux organisations représentatives des salariés.

Mme Chantal Richard, secrétaire confédérale en charge du dossier insertion, pauvreté, chômage de la Confédération française démocratique du travail. – Le revenu de base pose question à la CFDT, qui n’a pas de position arrêtée, même si nos militants vont débattre du sujet. Je ne sais s’il est souhaitable que nous ayons une position, ni si nous parviendrons à en dégager une.

Nous réfléchissons cependant en fonction de nos valeurs et de notre domaine de compétences, en tentant de concilier l’émancipation individuelle et la solidarité au sein d’un modèle de développement de qualité.

Comment le revenu de base s’articulera-t-il au regard du droit et des devoirs de l’individu vis-à-vis de la société et vice-versa ?

Le revenu de base porte plusieurs noms : allocation, revenu universel, revenu citoyen. Il faudra veiller aux termes utilisés, qui ne veulent pas dire la même chose pour tout le monde.

Les choix devront être arrêtés en fonction des critères, mais les choses ne sont pas simples.

Pour la CFDT, le revenu de base ne signifie en aucun cas la fin de l’emploi salarié. L’activité salariée connaît de multiples mutations mais, selon la CFTD, le travail demeure une activité indispensable à l’émancipation et au lien social. Même si l’emploi se développe sous plusieurs formes, le revenu de base pourrait servir à lisser des périodes d’inactivité ou de transition. L’accès à l’emploi doit être de qualité et facteur d’inclusion sociale.

Il est hors de question de culpabiliser les individus par rapport à leurs échecs. Pour la CFDT, la société a une responsabilité à l’égard des individus, celle de les mettre en capacité de vivre la vie qu’ils souhaitent. Le revenu de base pourrait servir à participer à cet objectif, mais il n’y suffit pas à lui seul.

S’agissant de la protection sociale, la CFDT réfléchit à la sécurisation des parcours. Le revenu de base peut en être un des éléments, mais il convient de prévoir un triptyque autour du revenu, des services et de l’accompagnement.

Le revenu de base pourrait constituer le moyen de sécuriser les parcours, notamment des jeunes, mais il faudra cependant assurer un niveau de vie satisfaisant pour que les individus puissent rebondir après une perte d’emploi ou prendre des risques pour innover ou développer un projet personnel.

Le revenu de base peut répondre aux aspirations des individus afin de mieux gérer des étapes de leur vie professionnelle et personnelle. Il pourrait constituer un partage du temps de travail plus souple à l’échelle des cycles de vie et d’accès à l’autonomie des jeunes.

Le revenu de base devra également s’articuler avec d’autres éléments de la sécurisation des parcours professionnels, comme les droits sociaux contenus dans le compte personnel d’activité.

Le revenu de base pourrait contribuer à l’émancipation et à la solidarité afin de lutter contre les inégalités et la pauvreté. Il faudra cependant conserver des garanties collectives fortes dans un système de mutualisation.

On pourrait par ailleurs être tenté de faire basculer dans le secteur marchand certaines activités considérées comme socialement utiles. Toutefois, toutes ne pourront être concernées. Les activités bénévoles, par exemple, comptent déjà des professionnels. Il ne faut pas cesser de professionnaliser ce secteur grâce à la formation, à un plus grand accompagnement et à des diplômes. Les activités bénévoles ne doivent pas percuter le champ professionnel.

(…)

Mme Chantal Richard. – Je désire intervenir sur l’expérimentation, sujet que je n’ai pas abordé dans mon propos liminaire.

Habituellement, la CFDT considère plutôt favorablement les expérimentations, mais on n’a pas défini à qui celle-ci s’adresse, ce que l’on veut en faire et les raisons pour lesquelles on veut la mener. Tout cela nous paraît précoce.

Même si elle n’a rien à voir avec le revenu de base en tant que tel, l’expérimentation d’ATD Quart monde appelée « Territoires zéro chômeur » remonte à des années et comporte aujourd’hui des objectifs et une évaluation. Cela ne peut se faire à la va-vite. Ce n’est pas mûr du tout, surtout dans le contexte actuel.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. – Nous sommes tout faits d’accord : on ne peut tenter une expérience si on ne sait pas où l’on va ni pourquoi on la mène. C’est une évidence.

(…)

Mme Chantal Richard. – Je voudrais revenir sur le non-recours, les minima sociaux, et la simplification administrative.

Je ne pense pas que le revenu de base soit la solution miracle pour résoudre le problème du non-recours au RSA. Cette question est une réalité. Le dossier compte dix-sept pages et nécessite de nombreuses copies.

Remplir un dossier administratif constitue une façon de rencontrer les gens en difficulté, et permet de les accompagner en cas de besoin. Il ne faut donc pas faire de raccourcis.

Le non-recours se rencontre plus dans le cas du RSA activité que dans celui de la prime d’activité. Il faut donc se pencher sur ce sujet, sans présenter le revenu de base, de manière simpliste, comme la solution aux problèmes que l’on constate aujourd’hui, quels qu’ils soient.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. – Je l’ai bien noté.

M. Daniel Percheron , rapporteur. – Je n’ai aucune objection à formuler.

(…)

M. Yannick Vaugrenard – Nietzsche disait : « C’est la certitude qui rend fou ». Je n’ai donc pas de certitude. Cette mission est une mission d’information. Nous sommes là pour nous informer et nous forger une opinion. Pour moi, il n’existe pas de solution toute faite, qu’elle soit économique ou sociale, mais des discours qui font plaisir à ceux qui les écoutent.

Je veux faire preuve de beaucoup d’humilité. Je suis l’auteur d’un rapport sur la pauvreté, et j’interviens demain matin devant le Conseil national de lutte contre les exclusions, le CNLE, sur le vingt et unième critère de discrimination, une proposition de loi que j’ai déposée au Sénat, où elle a été adoptée à l’unanimité, moins quelques abstentions, ainsi qu’à l’Assemblée nationale.

Si j’ai voulu participer à cette mission d’information, c’est parce que je trouvais cruel le phénomène du non-recours. Le président du CNLE, M. Étienne Pinte, le rappelait : le non-recours représente dix milliards d’euros, ce qui est énorme !

Le RSA activité, selon M. Martin Hirsch lui-même, est un échec absolu, parce qu’il est compliqué, et délicat sur le plan administratif. Les hommes et les femmes – et, de plus en plus, les enfants – qui sont en situation de grande précarité en ont assez de raconter leur histoire une fois, deux fois, trois fois.

J’ai rédigé un certain nombre de préconisations. Je trouve terrible que nous soyons l’un des pays où la protection sociale est la plus forte pour ceux qui ont un travail, mais non pour les autres. Aujourd’hui, on compte deux millions de chômeurs. C’est un chiffre extrêmement important. Entre 9 % et 10 % de la population se situe en dessous du seuil de pauvreté, soit 987 euros par mois. Un enfant sur cinq est pauvre – un sur deux dans les zones urbaines sensibles.

Il s’agit d’une question d’urgence absolue. C’est pourquoi je participe à cette mission. Des propositions de loi pourraient être déposées. On pourrait prendre en considération ce qui a été dit par les uns et les autres. J’ai écouté chacun avec beaucoup d’attention. Je crois qu’il est indispensable de mener une expérimentation – avec les risques que cela peut bien entendu comporter – afin de sonder le terrain, puisqu’il n’existe nulle part de solution toute faite, pas plus en Finlande qu’ailleurs.

Il faut essayer de comprendre la réalité, mais en partant du fait qui, selon moi, s’impose à tous : cette pauvreté qui sévit dans notre pays – le pays des droits de l’homme – doit être impérativement combattue. Comment faire ? Le phénomène de non-recours est extrêmement important. Les choses ne se régleront pas d’un coup de baguette magique : nous devons être les porte-paroles de ceux qui n’ont plus la force de s’exprimer !

Je m’interroge, mais je n’ai pas de réponse. La réunion d’aujourd’hui ne m’en apporte pas. Tout juste fournit-elle quelques éclairages et dégage-t-elle quelques éléments que vous avez fournis les uns et les autres. Certains remèdes peuvent être pires que le mal. Soyons prudents. De grâce ! Faisons preuve d’une certaine forme de modestie et d’humilité. C’est compliqué, c’est difficile, mais l’objectif doit être partage par tous : il s’agit de lutter contre la pauvreté, et le plus rapidement possible !

Le revenu de base peut constituer un élément de cette lutte, à condition qu’on ne mette pas de côté les allocations chômage ou notre système de protection sociale. Ce ne peut être qu’un plus par rapport aux droits sociaux que nous sommes parvenus à conquérir collectivement, syndicalement et politiquement. On ne peut fermer la porte. Elle est ouverte. On a mis le pied en travers : essayons de voir comment cela peut fonctionner. Avançons en évitant les écueils, afin de déterminer si cela peut permettre d’éviter la grande pauvreté et l’exclusion.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. – J’en ferai bien volontiers ma conclusion ! Cela permet à chacun d’être devant ses responsabilités, vous comme nous. Essayons d’avancer ensemble. J’espère que le rapport que nous publierons le 12 octobre vous conviendra. Vos auditions y seront reprises, et nous essayerons de les traduire de façon synthétique dans une proposition que je ne connais pas à ce stade, puisque nous n’en avons pas encore débattu à ce jour.

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