Extrait de l’audition de Louis Gallois par la Mission d’information du Sénat, le 14 septembre 2016.
AUDITION DE M. LOUIS GALLOIS, PRÉSIDENT DU FONDS D’EXPÉRIMENTATION TERRITORIALE CONTRE LE CHÔMAGE DE LONGUE DURÉE
M. Jean-Marie Vanlerenberghe président. – Mes chers collègues, nous recevons maintenant M. Louis Gallois, président du Fonds d’expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée.
Votre mission recoupe, monsieur le président, une préoccupation qui ressort de nos travaux, même si le revenu de base ou le revenu universel ne concerne pas uniquement les chômeurs de longue durée. Il nous est apparu utile au fil de nos auditions de recueillir votre point de vue, dans la mesure où vous avez mis en place l’expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée ».
L’objet de l’audition est de nous éclairer sur cette expérience ainsi que sur les conditions de mise en oeuvre du Fonds d’expérimentation. Nous partageons en effet cette idée d’expérimentation, mais pour le revenu de base. Nous souhaiterions nous entretenir avec vous de la question des obstacles à éviter en la matière.
M. Louis Gallois, président du Fonds d’expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée. – Je vous remercie de m’avoir convié à m’exprimer sur ce sujet.
Je présenterai d’abord l’expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée ». Nous verrons ensuite si l’on peut établir un lien entre ce projet et l’idée du revenu de base, sur laquelle je suis amené à réfléchir au sein de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale, la FNARS, que je préside et qui réunit les grandes associations de solidarité. Cette réflexion n’est pas achevée et les opinions sont assez divergentes au sein de cette fédération. Ce débat paraît d’ailleurs naturel s’agissant d’une question aussi importante.
Le projet « Territoires zéro chômeur de longue durée », qui a été élaboré par ATD Quart Monde, repose sur trois constats qui peuvent ne pas paraître évidents : personne n’est inemployable ; il y a du travail pour tous ; il y a de l’argent.
Premier point, personne n’est inemployable : c’est le postulat de départ. Il est trop facile de dire qu’un chômeur de longue durée devient inemployable. Ainsi, nous considérons au sein de la FNARS que toute personne est employable dès lors que l’on s’en donne les moyens, d’une part, en définissant les emplois que ces personnes peuvent occuper et, d’autre part, en les accompagnant et en les aidant à accéder à ces emplois.
Deuxième point, ce n’est pas le travail qui manque. C’était pour moi une découverte, dans la mesure où je ne suis pas membre d’ATD Quart Monde – ce mouvement ne fait d’ailleurs pas partie de la FNARS, ce que je regrette. Il suffit cependant pour s’en convaincre de considérer quels sont, dans des territoires donnés, les tâches d’intérêt collectif à effectuer et les emplois non marchands susceptibles d’être occupés. En réalité, il y a beaucoup plus d’emplois que de chômeurs de longue durée, et des emplois d’une grande diversité : animation d’un club photo, mobilité des personnes isolées en zone rurale, nettoyage des sous-bois, désherbage…
Troisième point, il y a de l’argent disponible. Selon les calculs d’ATD Quart Monde, un chômeur de longue durée coûte entre 18 000 et 20 000 euros par an à la nation. C’est à peu près le niveau du SMIC brut. L’idée est de financer de l’emploi en économisant ce coût. Ce concept général a donné lieu à une loi votée à la quasi-unanimité à l’Assemblée nationale et à l’unanimité au Sénat.
La procédure a été complexe pour aboutir au décret, puisqu’il a dû être approuvé par quatre entités : le Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire, le CSESS, le Conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles, le CNEFOP , le Conseil d’État, et le Conseil de la simplification pour les entreprises. Ce fut une autre de mes découvertes… Mais Mme El Khomri s’est débrouillée pour que cette procédure se déroule en moins d’un mois.
La loi ayant été votée et le décret publié, nous avons pu élaborer l’appel à candidatures et l’envoyer aux territoires candidats à l’expérimentation à la fin du mois de juillet. La réponse doit nous être apportée avant le 28 octobre. Nous attendons entre 40 et 50 candidatures. Certains feront peut-être machine arrière, car le dossier est complexe à constituer. Actuellement, environ une soixantaine de territoires sont intéressés.
L’expérimentation doit porter au maximum sur 10 territoires, comptant chacun 6 000 à 10 000 habitants. Seraient concernés de 200 à 250 chômeurs de longue durée par territoire. En tout, et c’est la contrainte budgétaire qui nous est imposée, 2 000 personnes bénéficieront donc d’un emploi. Nous souhaitons que ce public soit d’une grande diversité.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. – Dans le texte que nous avons voté, il était plutôt question de bassins d’emploi…
M. Louis Gallois. – Il faut que le dispositif soit gérable et qu’un comité local puisse se constituer une entité. Si l’on avait retenu l’échelle du bassin d’emploi, seules une ou deux expérimentations auraient été possibles.
Le processus de sélection est inclus dans l’appel à candidatures. Outre les critères de type « oui/non », sont prévus des critères classants qui permettront de choisir les meilleurs territoires.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. – N’y a-t-il pas déjà 5 territoires prédéterminés ?
M. Louis Gallois. – On a pensé à certains territoires, mais ils ne sont pas prédéterminés…
Nous sommes confrontés à un problème d’égalité d’accès de tous les territoires à cette expérimentation. On ne peut pas dire a priori que certains d’entre eux seront dispensés de concourir.
La liste des territoires que nous allons établir sera validée par le ministre de l’emploi, qui devra constater que nous avons respecté la procédure prévue. Ce point est très important, car nous sommes soumis à de très nombreuses pressions. Notre démarche doit donc être tout à fait professionnelle.
Nous suivons pour cela quelques principes essentiels.
Le premier est l’exhaustivité. Grâce aux collectivités locales, nous disposons pour chaque territoire de la liste exhaustive des chômeurs de longue durée. Chacun d’entre eux sera contacté et, s’il le souhaite, devra pouvoir postuler. Tous ceux qui seront candidats bénéficieront d’un emploi.
M. Jean Desessard . – Quel sera le délai entre le moment où la personne postule à un emploi et celui où elle l’obtient ?
M. Louis Gallois. – Dès lors que l’expérimentation sera lancée, ce sera rapide. Les capacités de la personne seront examinées lors d’un entretien, de même que ses souhaits : veut-elle travailler à temps partiel ou à plein temps ? Accepte-t-elle d’être payée au SMIC, d’être embauchée en CDI ? Un emploi se rapprochant autant que possible de ce que veut le candidat doit lui être proposé.
Le deuxième principe est la non-concurrence. Le seul moyen de s’assurer que ce principe est respecté est d’interroger ceux qui pourraient souffrir d’une éventuelle concurrence. Il est donc très important que les entreprises soient associées à l’expérimentation dans les territoires concernés et puissent s’exprimer.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. – Ce principe s’applique-t-il par rapport au secteur marchand ?
M. Louis Gallois. – Oui. Pour ce qui concerne le secteur public, les syndicats veilleront à ce que le dispositif n’entre pas en concurrence, par exemple, avec le travail des employés municipaux.
Le troisième principe est la mobilisation de l’ensemble des acteurs du territoire ayant leur mot à dire en matière d’emploi : collectivité locales, entreprises, syndicats, Pôle emploi, direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE). Il s’agit là d’un critère non pas classant mais de type « oui/non ».
Sans mobilisation de l’ensemble du territoire, l’expérimentation ne pourra pas fonctionner. Dans les 5 territoires que vous évoquiez, monsieur le président, tous les acteurs sont mobilisés.
La gestion du dispositif, j’y suis attaché, devra rester aussi locale que possible. Cela ne sera pas évident, car le financement, dont le Fonds d’expérimentation sera responsable et qu’il gérera, sera central. Il est très important que les comités locaux pilotent les entreprises « à but d’emploi », les EBE, qu’ils auront créées dans chaque territoire, et dont ils recrutent actuellement les directeurs.
Les EBE embaucheront les chômeurs de longue durée et les mettront à disposition des différentes entités – agriculteurs, mairies, associations… – qui souhaitent travailler avec eux. Il y aura 1 ou 2 EBE par territoire, voire 3 dans les plus importants.
Le budget dont sera doté le Fonds d’expérimentation est actuellement négocié avec le ministre de l’emploi. Ses ressources proviendraient en partie de la contribution des entités ayant recours aux services des chômeurs de longue durée embauchés par les EBE. Les départements participeraient également à son financement, dès lors qu’ils n’auraient plus à verser le RSA. Pour le reste, l’État donnera une enveloppe dont le montant, je le répète, n’est pas encore déterminé. Nous estimons ce montant, en année pleine et pour 2 000 emplois assurés, à environ 20 millions d’euros. Mais cette montée en régime n’aura pas lieu immédiatement, car les premières EBE seront créées au plus tôt au début de l’année prochaine.
Notre objectif est d’établir une liste de territoires le plus rapidement possible afin que nous puissions engager l’expérimentation, au moins partiellement, dès le 1 er janvier 2017.
Le Fonds d’expérimentation est une association. Le premier conseil d’administration s’est d’ores et déjà réuni ; le deuxième se tiendra la semaine prochaine. Il est assez pléthorique, mais un bureau plus resserré aura la responsabilité de gérer les fonds reçus et de financer les EBE ; il négocie également son propre budget de fonctionnement, car un effectif de 4 à 6 personnes sera nécessaire pour piloter les opérations au départ.
Qu’en sera-t-il des territoires qui ne seront pas retenus ? Ils constituent, selon nous, un potentiel et nous ne voulons pas les décourager. Nous souhaitons, si la première phase de l’expérimentation est un succès, qu’une deuxième, plus vaste, soit engagée afin de valoriser pleinement les potentialités du mécanisme.
L’évaluation est un point très important. Le décret prévoit la constitution d’un comité scientifique composé, entre autres membres, d’universitaires et de statisticiens. Nous bénéficierons aussi du soutien de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES.
Il nous faudra, tout d’abord, évaluer l’exhaustivité : a-t-on identifié tous les chômeurs de longue durée ? Combien ont été reçus ? Combien se sont portés volontaires pour participer à l’expérimentation ?
Il n’y aura pas 100 % de volontaires. Il faut savoir que certains chômeurs de longue durée qui sont sortis des statistiques de Pôle emploi et ne touchent aucune indemnité chômage ont trouvé des équilibres de vie, et parfois des ressources partielles. Ils ne veulent pas remettre en cause cet édifice fragile au profit d’une expérimentation dont ils ne savent pas ce qu’elle deviendra.
Il faudra, ensuite, analyser les résultats en termes de résorption de chômage de longue durée et de création d’emplois supplémentaires, vérifier que ceux-ci ne sont pas des emplois de substitution par rapport aux emplois existants, connaître le degré de satisfaction des personnes les ayant occupés, mesurer le succès des EBE et le « turn over » , c’est-à-dire combien de temps les chômeurs restent dans ces emplois et combien d’entre eux trouvent un emploi marchand.
Il conviendra, enfin, d’examiner l’impact sur les finances publiques. Quelles prestations sociales, quels coûts, individualisables ou non, ont-ils été économisés ? Combien le nouveau dispositif aura-t-il coûté ? Le bilan est-il équilibré ?
Nous ne cherchons pas à faire des économies par rapport au système actuel. Il s’agit non pas de supprimer le RSA, par exemple, mais d’utiliser l’argent existant pour permettre aux personnes de retrouver un travail.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. – Les ressources dont bénéficient les chômeurs de longue durée sont donc transférées aux EBE pour financer l’emploi ?
M. Louis Gallois. – C’est l’objectif à atteindre. Mais pour amorcer la pompe, il faudra d’abord des financements publics pour partie. Il sera en effet très compliqué de rassembler toutes les allocations, mis à part le RSA.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. – Au sein des collectivités territoriales, la problématique est différente : nous ne transférons pas de fonds aux entreprises, nous donnons un revenu aux individus.
M. Louis Gallois. – Dernier point : il faudra évaluer l’impact sur l’économie globale, par exemple en termes de distribution de pouvoir d’achat et de coût de fonctionnement des EBE, et déterminer si ces entreprises peuvent ou non assurer leur pérennité.
M. Daniel Percheron , rapporteur. – Votre présentation présente beaucoup de similitudes, notamment chiffrées, avec ce que nous avons entendu à Helsinki. C’est en Finlande, où le taux de chômage est de 8 % et la protection sociale remarquable – le cumul des allocations peut aboutir à 1 800 euros par mois ! -, que l’idée du revenu de base a été lancée. Mais les Finlandais sont revenus sur cette idée en limitant, comme vous, ce revenu au chômage de longue durée. L’échantillon retenu est également de 2 000 personnes.
Le problème qui se pose en Finlande est de savoir si le cumul de ce revenu de base avec les prestations sociales essentielles – l’APL, par exemple – peut favoriser la reprise de l’emploi. Le taux d’emploi dans ce pays est actuellement de 69 %. Les Finlandais cherchent à atteindre celui de la Suède, soit entre 72 et 73 %.
M. Louis Gallois. – En France, le taux est de 56 ou 57 %…
M. Daniel Percheron , rapporteur . – Ma question n’est pas malicieuse, mais les territoires qui ne seront pas retenus pourraient-ils concourir à une expérimentation du revenu de base ? Ou bien voyez-vous une contradiction entre les deux ou une complication supplémentaire ?
M. Louis Gallois. – Non, je n’y vois pas de contradiction. Sur le revenu de base, la FNARS n’a pas encore pris position, aussi m’exprimerai-je à titre personnel.
Nous ne voulons pas désespérer les territoires non retenus ; nous souhaitons au contraire qu’ils se préparent, car cette phase de préparation est très longue. Vous évoquiez, monsieur le président, les cinq territoires préconisés. Cela fait deux ans qu’ils y travaillent ! Faire l’inventaire complet des chômeurs de longue durée, contacter chacun d’entre eux, aller les chercher – ils ne viennent pas aux convocations ! – est un travail considérable. On veut leur dire qu’il y aura une seconde vague, et que nous allons nous battre pour qu’il en soit ainsi.
Cela étant dit, certains territoires peuvent être ouverts à l’idée d’expérimenter le revenu de base en attendant.
M. Jean Desessard . – Pourquoi attendre que tout le monde soit d’accord ? Vous dites qu’il faut deux ans de préparation. C’est inquiétant, car cela signifie que la mandature qui a lancé ce projet n’en verra pas les retombées positives.
M. Louis Gallois. – Comme l’Assemblée nationale et le Sénat ont voté à l’unanimité, je n’imagine pas que le processus soit interrompu !
M. Jean Desessard . – Vous êtes un homme de consensus !
Mais si deux territoires sont d’ores et déjà très actifs, il serait intéressant de les faire commencer tout de suite, pour voir les difficultés techniques du dispositif. Cela permettrait aux autres territoires de les éviter. Je vois bien l’intérêt de lancer l’expérimentation pour tous en même temps : cela nous donnera des repères ; si ce n’est pas satisfaisant dans un territoire, les neuf autres pourront compenser pour assurer la fiabilité de l’étude…
Mais, j’insiste, pourquoi ne pas expérimenter tout de suite dans un ou deux territoires pour observer les difficultés techniques ? Quel type d’emplois recherche-t-on ? Dispose-t-on des formateurs ?…
M. Louis Gallois. – Vous allez dans le sens du directeur de cette expérimentation, M. Patrick Valentin, qui a inventé ce dispositif. C’est un homme extraordinaire, qui a trente ans d’expérience dans le domaine de l’insertion par l’activité économique.
M. Jean Desessard . – C’est flatteur de me comparer à lui !
M. Louis Gallois. – Il vient d’ATD Quart Monde, mais il est aussi un entrepreneur. Il est favorable à l’idée de faire démarrer tout de suite les territoires qui sont déjà prêts. En tant que vieux briscard – c’est le bénéfice de l’âge ! -, je l’ai mis en garde contre les éventuels recours contentieux. Il y a 10 places pour 60 candidats. Si nous commençons par choisir deux territoires qui nous paraissent remplir les critères, il n’y aura plus que 8 places. Cela créerait une inégalité au sein de cette procédure publique, qui est financée par de l’argent public. On s’exposerait, je le répète, à des recours contentieux.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. – Est-ce parce que vous voulez que soient recensés tous les candidats potentiels, c’est-à-dire tous ceux qui sont au chômage de longue durée ?
M. Louis Gallois. – Non, je parle des territoires candidats. Actuellement, nous avons 50 territoires intéressés. Peut-être qu’une quarantaine d’entre eux pourront déposer un dossier. Sur ces 40, nous ne pouvons pas choisir a priori . Nous avons des critères, il faut que nous les appliquions. Comme c’est un concours et non un examen, il nous faut des critères classants. Or, pour classer, il faut tout le monde ! On ne peut pas permettre à certains d’être hors concours.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. – J’entends bien que vous essayez d’être très loyal.
M. Louis Gallois. – Nous n’avons pas le choix !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. – J’imagine les pressions dont vous allez faire l’objet de la part de tous les politiques.
M. Louis Gallois. – C’est déjà fait !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. – Je n’imagine pas que Mme la ministre n’y mettra pas son nez.
M. Louis Gallois. – Je déconseille vivement à Mme la ministre de le faire, par prudence, car elle fera des mécontents. Il y aura 40 mécontents pour 10 retenus !
M. Jean Desessard . – Elle en a déjà fait pas mal !
M. Louis Gallois. – Quand ce sont des élus…
M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. – Pourquoi attendre d’avoir recensé tous les chômeurs de longue durée ?
M. Louis Gallois. – On n’attend pas ! Nous avons besoin qu’ils soient listés et qu’ils aient été contactés. Ensuite, leurs réponses arriveront progressivement… Certains vont hésiter et, si ça marche, ils viendront.
Les plus difficiles à joindre sont les jeunes. Ils ont l’impression de se faire embrigader. Il ne faut pas que les propositions soient assimilées aux travaux d’intérêt général qui servent de peines alternatives à la prison, même si, en l’occurrence, ils seront payés !
Il faudra convaincre ces jeunes. Cela se fera progressivement. C’est un pari, je ne vous le dissimule pas, et cette méthode est très étrangère à la France. Il est bon de ne pas se lancer d’un seul coup dans un processus national.
On ne peut pas imposer ce dispositif à des personnes qui ne voudraient pas y participer.
M. Daniel Percheron , rapporteur. – Il ne faut ni posture nationale ni médiatisation excessive, mais une participation des acteurs du terrain.
M. Yannick Vaugrenard . – Monsieur Gallois, vous êtes certainement plus à l’aise pour nous répondre aujourd’hui sur la question qui nous préoccupe que si vous étiez toujours responsable de la SNCF, compte tenu de la période que nous traversons…
Cette expérimentation est une très belle ambition. Mais on peut craindre les difficultés d’une telle entreprise. Je pense en particulier à la question de l’encadrement des chômeurs de longue durée. Qui les suivra -un responsable de collectivité locale, une personne dans l’entreprise ? Cela suppose des coûts. Or les conservatismes existent partout, à gauche comme à droite. Comment faire pour que le coût ne soit pas trop élevé, ce qui conduirait à un recul du volontarisme ?
ATD Quart Monde estime de 18 000 à 20 000 euros le coût d’un chômeur de longue durée, soit l’équivalent du salaire médian (1 656 euros). Comment le calcul a-t-il été fait ?
M. Louis Gallois. – Le SMIC annuel brut s’élève à 17 600 euros. ATD Quart Monde a fait une étude extrêmement complète que je peux leur demander de vous fournir. Je ne dis pas que ce chiffre est exact à 1 000 euros près ; mais c’est un ordre de grandeur qui montre que l’on peut financer le SMIC.
M. Yannick Vaugrenard . – Cela nous permet d’avoir des éléments de réponse qui correspondent à la réalité.
Je vais me faire l’avocat du diable pour ma dernière question. Les jeunes vivent des situations de plus en plus difficiles et ont du mal à trouver un emploi, alors même qu’on leur demande toujours davantage de diplômes. Que répondre à ceux qui nous disent qu’au lieu de s’occuper des chômeurs de longue durée, on ferait mieux de s’occuper des jeunes ?
M. Louis Gallois. – Les EBE sont des structures très légères : elles embauchent et mettent à disposition. Pour certains chômeurs de longue durée, il faudra un accompagnement. Le secteur associatif sait faire cela. Je suis à la tête d’un réseau qui réunit l’essentiel des structures d’insertion par l’activité économique, la FNARS, et nous savons ce qu’est l’accompagnement.
Dans les EBE, nous pourrons embaucher des personnes susceptibles de nous aider. De nombreux chômeurs de longue durée – par exemple, des comptables – ont plus de 50 ans, et ne sont donc pas embauchables ailleurs, alors même qu’elles ont des capacités.
En ce qui concerne les jeunes, dès lors qu’ils sont au chômage depuis plus d’un an, ils sont considérés comme des chômeurs de longue durée. Mais nous devrons faire un effort particulier pour aller les chercher, car ce ne sont pas ceux qui viennent le plus spontanément.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. – Il faudra travailler avec les missions locales.
M. Louis Gallois. – Bien sûr, elles sont parties prenantes.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. – J’en préside une. C’est déjà un problème pour elles de recenser tous les jeunes. Nombre d’entre eux ne veulent pas entrer dans le dispositif.
M. Louis Gallois. – Les jeunes sont une priorité : 150 000 jeunes sont chaque année sans emploi, sans formation et sans revenu.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. – Il existe la Garantie jeunes, une expérimentation qui a été prolongée…
M. Louis Gallois. – … et amplifiée. La loi Travail a augmenté le nombre de jeunes qui pourront en bénéficier.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. – Cette expérimentation devait se terminer à la fin de 2017. Elle concernait 80 000 jeunes ; ce chiffre va doubler. Pour les jeunes les plus éloignés de l’emploi, c’est déjà une réponse.
M. Louis Gallois. – Les missions locales ont énormément de difficultés à aller chercher ces jeunes.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. – On peut certes fixer le chiffre à 150 000 jeunes, mais je peux vous dire que la mission locale que je préside a, malgré ses efforts, du mal à remplir ses objectifs.
M. Louis Gallois. – Il est plus facile de s’occuper d’une personne volontaire que d’une autre qu’il faut aller chercher, pour laquelle il faut déployer des efforts plus importants.
Actuellement, 25 % de la population des centres d’hébergement que nous gérons sont des jeunes de 18 à 25 ans. Il y a dix ans, ce pourcentage était de l’ordre d’epsilon.
M. Daniel Percheron , rapporteur. – Venons-en au revenu de base.
M. Louis Gallois. – Pour moi, le revenu de base soulève des questions très lourdes, en premier lieu celle de son financement. Ses défenseurs sont très divisés : les ultra-libéraux y voient une alternative à la protection sociale ; d’autres, l’occasion donnée à chaque personne de gérer son projet personnel.
Je suis interloqué par les chiffres. Un revenu de base à 800 euros par personne, soit à peu près le minimum vieillesse, coûterait de l’ordre de 600 à 650 milliards d’euros, c’est-à-dire environ le budget social de la nation. Alors, certes, il y aura un effet de substitution – le RSA disparaîtrait, etc. Mais ce n’est pas avec les 20 milliards d’euros des minima sociaux que l’on va le financer. Si l’on réduit trop le revenu de base, on retombe sur le RSA.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. – C’est la base qui est le plus souvent proposée.
M. Louis Gallois. – Si l’on étend le RSA à tous les Français, le fisc pourra le reprendre à ceux qui payent l’impôt sur le revenu, mais près de la moitié des Français n’y sont pas soumis. Le coût net devrait être de l’ordre de 45 milliards d’euros, soit plus de 2 points de PIB.
Si l’on instaure un revenu de base égal au RSA, qui seront les gagnants et les perdants ? C’est extrêmement complexe à déterminer, mais la suppression d’un certain nombre d’allocations entraînera nécessairement un grand nombre de perdants : ceux qui sont un peu moins pauvres que les plus pauvres.
Enfin, j’estime que, dans une société, il ne doit pas y avoir de salaire sans travail. Cet « argent distribué par hélicoptère », comme disent certains, encourage le débat détestable sur l’assistanat.
Le revenu de base modifiera les équilibres macroéconomiques de notre pays. Il faut donc lancer ce système que si l’on est certain du résultat, pour ne pas casser la machine.
Vous l’aurez compris, cette idée ne suscite pas un enthousiasme délirant de ma part. Mais je lis beaucoup sur le sujet, pour ne pas en rester à ma seule intuition. Je suis plutôt sur la ligne du rapport Sirugue : simplifier les minima sociaux. C’est une aventure compliquée – les Anglais sont engagés dans ce processus depuis quatre ans. L’allocation unique, avec des modulations pour tenir compte soit des projets d’insertion, soit des handicaps spécifiques, me paraît être une perspective beaucoup plus riche.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. – Faut-il l’expérimenter ?
M. Louis Gallois. – Ce serait intéressant de le faire sur un territoire cobaye, pour voir les effets de bord.
La croissance ne suffira pas. On ne résoudra pas le chômage de longue durée sans expérimentation, car les entreprises n’embaucheront pas de chômeurs de longue durée. Elles recruteront d’abord les chômeurs de courte durée.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. – Vous connaissez sans doute André Dupon, le président de Vitamine T, qui se dit prêt à embaucher tous les chômeurs de longue durée dans le cadre de l’expérimentation et recommande – il m’a d’ailleurs convaincu – que l’on ouvre le système au secteur marchand, avec la perspective pour les entreprises de toucher les aides.
M. Louis Gallois. – C’est de la main-d’oeuvre gratuite.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. – Non, il faut quand même payer le complément pour atteindre le SMIC.
M. Louis Gallois. – Je connais bien André Dupon, qui est imaginatif et enthousiaste. Je discuterai d’ailleurs avec lui dans un avenir proche, puisqu’il souhaite participer à l’expérimentation pour Vitamine T.
Il faut veiller à ne pas créer une nouvelle catégorie d’emplois aidés. Les GEIQ, les groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification, qui réunissent aussi bien des entreprises de taille honorable comme Vinci que des plus petites, se sont fixés comme objectif l’embauche de chômeurs de longue durée. Qu’une aide transitoire soit prévue sous forme de soutien financier et d’accompagnement de l’entreprise et du salarié, j’y suis favorable. Les entreprises ont un rôle à jouer dans l’immersion et dans le contact avec le secteur marchand : stages, contrats de professionnalisation…
M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. – C’est le cas avec la Garantie jeunes. Un jeune doit obligatoirement passer la moitié de son temps en immersion. Il faut donc un panel d’entreprises volontaires. Sur le territoire de ma mission locale, à Arras, près de 200 entreprises sont prêtes à accueillir des jeunes dans ce cadre. Sinon, cela ne marche pas !
M. Louis Gallois. – Les GEIQ sont des institutions intéressantes. Les entreprises doivent s’y mettre. Ne nous faisons pas d’illusion : sans mécanisme spécifique pour les chômeurs de longue durée, sans formations, sans expérimentations, sans discussions avec les entreprises, via le MEDEF ou les GEIQ, on ne réglera pas ce problème. Je le redis, les entreprises n’embaucheront pas spontanément de chômeurs de longue durée, même avec 3 % de croissance.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. – Je vous remercie, monsieur Gallois.
M. Jean Desessard . – On attend vos expérimentations dans les territoires !